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des pièces dont on trouverait le plus d’imitations chez nos vieux poètes, qui d’ordinaire l’ont plutôt paraphrasée et légèrement parodiée en y substituant quelque chasseur moderne qui rencontre une villageoise. Mais pourquoi Chénier a-t-il été choisir dans le recueil de Théocrite cette idylle-là plutôt qu’une autre ? se demande d’abord M. Fremy ; et il voit déjà dans ce choix l’indice d’un goût peu sûr : « car, ajoute-t-il en style étrange, l’Oaristys s’éloigne sous plus d’un point de ces sujets naturels et simples où l’on sent à peine l’effort de l’art. » J’avoue que, lorsque je vois un critique aborder sur ce ton des œuvres toutes de grâce et d’élégance, j’entre aussitôt en une méfiance extrême, et je me demande si l’écrivain de cette prose est bien un maître-juré en telle expertise de poésie (arbiter elegantiarum). M. Fremy, qui préconise uniquement chez les anciens une certaine ingénuité et simplicité qu’on ne conteste pas, mais qu’il exagère, oublie tout-à-fait une autre qualité qu’ils n’ont pas moins, le tenuem spiritum, comme l’appelle Horace ; ce qui faisait dire encore à Properce dans une élégie que tout à l’heure nous rappellerons :

Exactus tenui pumice versus eat.

En un mot, M. Fremy paraît ne tenir aucun compte chez les anciens de la grâce, de la légèreté et de la finesse.

L’Oaristys, qui n’est qu’une imitation directe, une traduction un peu libre, ne suffit pas à M. Fremy pour déployer toute sa théorie contradictoire, et il s’attaque courageusement à cette belle idylle intitulée l’Aveugle. Il voudrait avant tout que le poète eût débuté autrement ; car les anciens commencent d’ordinaire par définir leur sujet, par dire : Je chante tel homme ou telle chose. Hors de là, il n’y a pas de bon début à l’antique. Et c’est là le critique qui accusera tout à l’heure Chénier d’un peu de pédanterie ! Notez bien, s’il vous plaît, qu’il l’aurait immanquablement accusé de pastiche, s’il y avait surpris le début commandé. Mais je redirai moi-même ici comment j’entends la composition de l’Aveugle.

Chénier est plein de la lecture d’Homère ; il voudrait en reproduire en français l’accent et quelques-unes des grandes images, en offrir un échantillon proportionné ; il a l’idée de ramener l’épopée au cadre de l’idylle, et l’histoire qu’il imagine pour cela n’a rien que de très autorisé par la tradition. Chénier en effet avait lu (ce que M. Fremy ne paraît pas avoir fait) la Vie d’Homère, faussement attribuée à Hérodote, mais qui, si fabuleuse qu’elle soit, exprime très bien le fonds des légendes populaires qui circulaient sur le poète. Chénier se