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est la parole d’un homme ; et devant les marches du trône, si vous me de- mandez mon droit, je crierai avec Hutten : Ich hab’sgewagt !


Devant les marches du trône ! Oui, car il vient d’adresser au roi de Prusse un de ses chants les plus singuliers. On a beaucoup loué la vivacité de cette poésie : j’y reconnais sans doute la forme rapide et brillante que personne ne refuse à M. Herwegh ; mais les idées qui l’animent ne sont-elles pas en vérité trop peu sérieuses ? Otez la brusque beauté du style, la forme hautaine et mâle de l’apostrophe, que reste-t-il ? quelles pensées ? quels conseils politiques ? Le poète rappelle au roi que le comte Platen lui a adressé jadis des chants pour la Pologne, et qu’il a laissé mourir la Pologne. Ce nouveau poète sera-t-il plus heureux dans ses prières ? Il vient lui demander de prendre en main les vivans intérêts du pays, de s’appuyer sur tout ce qui est fort et vigoureux, de songer à la généreuse jeunesse de l’Allemagne. Un instinct de guerre le pousse ; il veut la guerre, guerre avec la France, guerre avec la Russie, guerre avec Rome. Et puis, ce sont les exclamations accoutumées : « Déroule ta bannière ! tire ton épée ! il en est temps ! un nouvel Austerlitz s’approche ! » etc.. Je ne crois pas que le talent de M. Herwegh soit nécessaire pour imaginer toutes ces belles choses. Il y a des strophes éloquentes, je le veux bien ; la fermeté de la forme sauve quelquefois ces pauvretés, soit : c’est bien le moins. La question seulement est de savoir combien il faut d’art et d’habileté pour faire une strophe assez vigoureuse avec un refrain d’opéra comique. Ceci intéresse les manuels et les dictionnaires de rimes ; la poésie n’a rien à y voir. Je ne crois pas non plus que M. Herwegh ait le droit de menacer si fièrement le roi, s’il dédaigne ses conseils. Est-ce bien là ce qu’on appelle de la poésie politique ? Politique d’écolier et poésie suspecte.

Il faut que M. Herwegh se défie des fanfaronnades ; il a un talent trop réel pour recourir à ces misérables effets. L’étrange lettre qu’il a écrite au roi de Prusse, il y a deux ans, a reçu en Allemagne un accueil qui a dû l’avertir. Son influence personnelle, l’autorité de son caractère n’y seraient pas moins compromises que la dignité de sa muse. Je reviens à des pièces plus sérieuses où l’énergie du langage est associée à des idées plus hautes, à des sentimens plus élevés. Parmi les pièces qui ont assuré la réputation du jeune écrivain, je citerai d’abord la Prière. Voilà une inspiration forte et franche ; point de recherche, point de rhétorique, point de déclamations. Il y a un véritable enthousiasme, un accent de Jérémie et de Tyrtée dans ce de profundis clamavi ad te. C’est un mélange de douleur profonde et de