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noblesse. Les révoltes fécondes du XVIe siècle sont pour lui le foyer domestique où il fait l’éducation de sa muse. Il s’assied dans la maison de Martin Luther, et, laissant là les querelles théologiques, les discussions de dogme, il lui demande l’esprit général, le libre esprit qui le poussait, tout ce qu’il y avait de national, tout ce qu’il y avait d’instincts germaniques dans son audacieuse entreprise. Mais l’écrivain auquel M. Herwegh s’adresse continuellement, celui dont les écrits sont devenus son bréviaire, comme Gargantua et Pantagruel ont été, à toutes les époques, le bréviaire des libres esprits, c’est Ulric de Hutten. Je ne l’appellerai point, comme on l’a fait, le Rabelais de l’Allemagne, d’abord parce qu’il n’avait point le prodigieux esprit, l’inépuisable raillerie du curé de Meudon, et aussi parce que Rabelais, insouciant dans ses plus grandes audaces, n’a jamais connu la passion irritée qui donne une originalité si vive au chevalier Ulric. Or, c’est précisément l’implacable fureur d’Ulric de Hutten qui a dû plaire à M. Herwegh, et je ne m’étonne pas qu’il ait été si rapidement attiré vers ses écrits. Lorsqu’on étudie les premières années du XVIe siècle en Allemagne, il y a un homme, un écrivain, que l’on rencontre par- tout, sur les grandes routes, de Mayence jusqu’à Vienne, toujours à cheval, toujours prêt à tirer l’épée. Ulric de Hutten est en guerre avec tout le monde. A peine échappé du couvent où on le préparait aux études théologiques, il est allé en Italie et s’y est battu mille fois. Au retour de Rome et de Bologne, le voici occupé à venger son cousin assassiné par le duc de Wurtemberg. Quand la lutte commence entre Reuchlin et les théologiens de Cologne, il écrit avec ses amis ce bizarre et joyeux pamphlet, Epistolœ obscurorum virorum ; mais ce n’est point assez, et il veut prendre sa lance pour terminer la discussion. Toute sa vie est ainsi. Espèce de chevalier errant, il manie la plume comme l’épée. Ce don Quichotte sérieux, ce vagabond inspiré, a mis la chevalerie au service des idées nouvelles ; c’est le bras droit de la réforme, c’est le serviteur armé du docteur de Wittemberg. On le trouve partout où il y a une troupe de moines à pourchasser. Quand il ne court pas les grandes routes, il est retiré dans son donjon, et sa plume est aussi prompte, aussi agile que sa lance. Pendant la diète de Worms, il inonde l’Allemagne de plaidoyers, de discussions impérieuses, de pamphlets menaçons. Charles-Quint, qui redoute sa turbulence, l’emmène avec lui au siège de Metz ; en revenant, Ulric pille une ville d’Alsace qui a condamné ses écrits. Bientôt, il fait une expédition à ses frais ; accompagné de ses amis Franz de Sikkingen et Hartmuth de Kronenberg, il déclare la guerre à l’archevêque de Trêves ; après