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Le censeur lui-même, si détesté, si odieux, sera traité par M. Hoffmann de Fallersleben avec une douceur singulière, avec une raillerie aimable et sans amertume :


« O grande, ô magnifique nature ! tu parais avec le tonnerre, les éclairs et le fracas de l’orage. Tu épouvantes la forêt et la prairie, tu remplis d’angoisses et de terreurs le palais et la chaumière.

« O grande, ô magnifique nature ! ta parole humilie le monde et tout ce qui vit. Chaque créature se tait. Le tigre et le lion sont étonnés. Les rois tremblent.

« O grande, ô magnifique nature ! oui, tu imposes silence à la création avec le bruit du tonnerre. Eh bien ! la censure fait plus encore ; il lui suffit, pour cela, d’un tuyau de plume. »


N’est-ce pas une vengeance bien inoffensive ? S’il retrouve le censeur sur sa route, il le raillera encore, mais si paisiblement ! Il chantera la plainte du censeur. Pauvre censeur ! que de soucis ! quelle tâche lourde et cruelle ! C’est de lui que dépend le salut universel. L’église, l’état, la société tout entière, c’est lui qui est chargé de les défendre. Sans cette plume qu’il tient si bien, que deviendrait le monde ? Perplexités continuelles ! Faust était moins inquiet, Hamlet était moins sombre et moins désolé.

L’inspiration de M. Hoffmann de Fallersleben est donc, comme on voit, pleine de bonhomie. Nous n’y rencontrons pas ces fiers accens qui retentiront si haut tout à l’heure. Quand il s’irrite le plus, sa verve se dépense en jeux de mots, car son haleine est courte, et sa colère ne dure pas. Il aime mieux plaisanter doucement. Cette poésie sans enthousiasme convient bien au cabaret où il s’est attablé. Entre le choc des verres, dans les courts momens où l’on fait silence, il chante son couplet et sourit. On ne peut dire qu’il soit vraiment un poète, ni surtout un poète politique ; il n’a point les fermes allures du commandement, le rhythme impérieux qui soulève les multitudes frémissantes. C’est plutôt, le dirai-je ? malgré la grâce de certains détails que j’ai cités, c’est plutôt un ménétrier joyeux, assez timide, assez embarrassé de lui-même, quand il n’a pas le verre en main, mais qui monte volontiers sur la table en jouant du tambourin et qui fait rire son peuple après boire.

Toute sa hardiesse est d’avoir parlé le premier et attiré sur lui la tempête. Croirait-on, en effet, que ce poète inoffensif ait pu être violemment persécuté ? M. Hoffmann de Fallersleben était professeur à Breslau ; il y enseignait l’ancienne littérature allemande, sur laquelle il a publié d’intéressantes études. Son recueil de poésies lui a valu une destitution. Pourquoi ces imprudentes rigueurs qui ne font que