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l’âme et de la pensée, à tous les chercheurs de centimes ; c’est ainsi qu’il parle, et il ajoute ; « Vivent donc les philistins ! vivent leurs « pères ! vivent leurs frères ! car, s’il n’y avait plus de philistins, il n’y a aurait plus de poètes ! » En même temps le rhythme prosaïque et goguenard qu’il emploie met encore plus en relief sa joyeuse ironie :

Es leben die Philister
Ihre Gewattern und ihre Geschwister !
Denn
Wenn
Die Philister nicht mehr leben,
So wird es auch keine Poeten mehr geben !


Puis, quand il a achevé sa satire moqueuse, quand il a décrit ces philistins à qui il rend hommage, quand il a salué ce peuple qui s’accroît tous les jours et qui envahit les demeures mêmes de la science, les sanctuaires de l’esprit, il change de ton tout à coup, et, appelant Schiller, il lui crie de faire apparaître au-dessus d’eux, comme une lumière, la sainte poésie qu’ils outragent ; il le conjure de mettre à sa bouche le cor de chasse d’Obéron pour réveiller ces lourdes populations et les forcer de crier : Vive Schiller !

La guerre avec les moines ne manque pas de vivacité non plus ; mais M. Hoffmann de Fallersleben, qui a lu Béranger et qui l’étudie avec beaucoup de soin, a craint sans doute de ne pouvoir renouveler avec assez de finesse une matière épuisée : il faut lui savoir gré d’avoir peu insisté sur ce point. Sa verve est plus à l’aise quand il attaque l’aristocratie de son pays, cette noblesse infatuée que les révolutions n’ont point châtiée encore. C’est un lieu commun, si l’on veut, mais qui, dans de certaines limites, ne manque ni d’à-propos, ni de nouveauté. Cette nouveauté même est une excuse pour lui, s’il n’apporte pas dans le genre vif et prompt auquel il aspire la finesse et l’art dont cette poésie ne peut se passer. La poésie politique qui s’essaie en ce moment au-delà du Rhin n’a pas derrière elle, comme chez nous, toute une lignée d’écrivains sensés, de poètes populaires, qui, sans le proclamer si haut, ont répandu et consacré à jamais par leur génie les idées du bon sens, du bon droit, du droit commun. Des fabliaux à Rabelais, de Rabelais à Lafontaine, de Lafontaine à Voltaire, notre poésie est riche sur ces questions éternelles. Le poète qui les a consacrées récemment d’une manière plus vive n’a eu qu’à exprimer avec un art suprême le génie même de cette illustre famille, à le résumer, à le produire en mille tableaux, gais ou sérieux, légers ou profonds, qui ont fait de lui le plus populaire et à la fois le plus