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philanthropiques et civilisatrices. En Asie, où les théories n’ont pas cours, elle change de rôle ; il lui suffit de la plus vulgaire justice pour être bien au-dessus des barbares qui l’entourent, et ses empiétemens, elle les excuse en alléguant qu’une nation chrétienne rend service par son influence à ces contrées malheureuses. Les agens que la compagnie emploie hors de ses domaines ne relèvent souvent que d’elle ; c’est elle qui leur donne des gardes pris dans ses armées indiennes, qui les entretient à ses frais avec tout ce luxe dont elle connaît l’importance en Orient. « Le résident (de Bouchir) ne dépendait que de la compagnie, et n’était pas sous les ordres de la légation de Téhéran, » dit M. Fontanier en exposant la situation de ces consuls, qui tiennent une province en tutelle. Voici sur quel pied ces agens ont été placés en peu d’années : « Le premier agent anglais eut pour traitement une commission sur ce qu’il fournissait ; le second, 6,000 francs par an. Le dernier reçut 100,000 francs de traitement, et des indemnités considérables lui étaient accordées ; son assistant était payé 40,000 francs ; son médecin en recevait 25,000. » Voilà toute une petite cour, vis-à-vis de laquelle le gouvernement français avait eu l’idée d’envoyer un vice-consul avec des appointemens de 500 francs par mois, c’est-à-dire le même traitement qui est alloué dans l’Inde à un sous-lieutenant arrivant de Londres avec son brevet en poche, moins les fourrages et les domestiques, que la compagnie lui fournit gratis. En 1839, on offrit un traitement plus minime encore à un orientaliste distingué, déjà connu par ses travaux, en le nommant vice-consul à Djeddah, dans la mer Rouge, sillonnée régulièrement par des bateaux à vapeur anglais ! La France est-elle donc si pauvre, ou bien tient-elle si peu à la considération des peuples étrangers ?

C’était cependant un beau titre en Orient que celui de consul de sa majesté très chrétienne. Cette épithète, dédaignée de nos jours, signifiait le roi de France, protecteur des chrétiens en Orient. Je ne connais pas de plus glorieuse prérogative que celle qui confère le droit d’asile, qui impose à une nation la tâche difficile et parfois périlleuse de s’interposer entre le conquérant brutal et le vaincu sans cesse menacé. Faut-il donc absolument avoir vécu dans les pays païens, au milieu des mosquées et des pagodes, pour comprendre quel lien l’identité de croyances établit entre les hommes ? Une vérité trop méconnue, émise dernièrement dans cette Revue[1] par un officier de marine, répétée dans l’ouvrage de M. Fontanier, c’est que, « lorsque

  1. Voir l’article sur Rhodes, de M. Cottu, avril 1844.