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l’agent, revêtu d’un titre officiel, reçoit enfin une augmentation de traitement qui l’indemnise de ses frais. Mais que de temps perdu ! quelle attitude prendre pendant ces premiers mois d’une installation pénible, précaire, presque humiliante ? Peu à peu ceux que gênent l’autorité et les empiétemens du résident anglais viennent en cachette exposer leurs griefs au nouveau venu, qui ne peut s’immiscer dans ces affaires de détail et ne doit s’occuper qu’à maintenir chaque pouvoir dans l’exécution des clauses et des traités. Cette tâche est assez difficile ; il lui faut tout souffrir, ou entrer dans une voie de tracasseries incessantes, lutter de ruses, s’aliéner la seule société avec laquelle il y ait plaisir à se trouver en contact. Souvent même on le blâme de son zèle, on le trouve bien osé, à Constantinople ou à Paris, d’avoir tenu tête avec énergie à son puissant collègue, dans des actes dont on apprécie peu la portée. On s’étonne de ce qu’un agent obscur, au lieu de se féliciter du poste auquel on l’a élevé, se permette d’adresser des notes fréquentes, de se plaindre de la modicité de ses appointemens, de l’impossibilité où il se trouve de remplir sa mission, si on néglige de le seconder, de le soutenir, de prendre en considération ses demandes, ses très humbles avis. Des années se passent à attendre une réponse ; cette réponse désirée arrivera-t-elle en temps opportun ? Tandis que ces tribulations assiègent l’agent français, tandis qu’il se sent à peu près privé de tout secours du dehors, relégué dans une contrée où il ne rencontre guère de compatriotes, l’agent anglais est là, près de lui, dans des conditions tout opposées. La nation que ce dernier représente a tous les moyens de se faire obéir dans des parages où ses envahissemens se succèdent avec rapidité ; ce n’est pas de Londres, ni de Constantinople, que le résident de Bagdad attend ses instructions, mais de Bombay ; souvent même il s’abstient d’en demander aucune, parce que à son départ on lui a dit : Osez ! et il ose ; Ainsi, d’un côté, la Valachie et la Moldavie sont pressées entre le czar et le sultan ; la Servie est menacée de la protection de l’Autriche : pour contrebalancer l’influence de ces deux puissances sur les frontières de la Turquie d’Europe, l’Angleterre établit la sienne chez les peuples à peu près indépendans qui bornent la Turquie d’Asie ; puis, franchissant cette limite que lui impose cependant une stricte neutralité, elle se glisse au sein de ces populations mêlées parmi lesquelles elle a toujours l’espoir de se former un parti.

Par l’étendue de ses possessions, l’Angleterre se trouve, pour ainsi dire, partagée en deux états ; elle a son empire d’Occident et son empire d’Orient. En Europe, elle se met à la tête des idées