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hardiment aux lieux difficiles ou négligés pour nouer au point décisif les lignes de communication ; elle trace son sillon tour à tour avec patience et colère, avec persévérance et audace. Sa constance lasse ceux qui l’observent, son habileté déjoue ceux qui la surveillent ; espère-t-elle donc qu’un jour on admirera sa grandeur sans restriction, qu’on l’absoudra, comme on a absous le peuple romain, pourvu qu’elle arrive à son but ? Croit-elle que les progrès de l’industrie qui la serrent à souhait ne peuvent pas, dans l’avenir, se tourner contre elle en déplaçant le centre de cette puissance gigantesque ? Ce qui frappe le plus dans tout ceci, ce sont les libertés grandes que se permet l’Angleterre et sa susceptibilité à l’égard des autres nations, l’effronterie de ses actes et le rigorisme de ses doctrines. D’où vient que l’Europe est ou semble être dupe de cette politique, dont on voit partout les résultats, dont l’influence se fait sentir sur tous les points du globe ? L’Angleterre sait colorer ses actes des prétextes les plus honorables ; elle est pleine de zèle pour le bien de l’humanité, quand les intérêts de l’humanité s’accordent avec les siens. A l’époque où la Russie, cherchant un prétexte de se montrer aux frontières de l’Inde britannique, menaçait le khan de Khiva de lui redemander quelques-uns de ses sujets emmenés en esclavage, le lieutenant Shakespeare fut envoyé de l’une des trois présidences pour racheter ces chrétiens captifs, et éviter à une armée russe les peines du voyage. Avec quelle noble ardeur les croiseurs anglais harcèlent les négriers portugais et espagnols, traquent et brûlent leurs navires ! L’esclavage, ce honteux souvenir des mœurs païennes et barbares, offusque la pieuse Albion ; elle l’attaque sur toutes les mers, sous tous les pavillons, et ne veut s’en rapporter qu’à elle du soin de cette haute surveillance. Cependant des navires arabes et persans, sous pavillon anglais, commandés par des capitaines anglais, font le commerce des esclaves dans l’Inde. On les débarque dans des palanquins en disant que ce sont des femmes, et la douane les laisse passer comme tels, moyennant un léger cadeau. S’ils sont d’un certain âge, on dit que ce sont des matelots ou des domestiques, on les vend et on les achète sans grande difficulté. » Cette assertion n’est pas faite à la légère, elle repose sur des faits clairement établis, sur des preuves authentiques, officielles même ; dans une question aussi grave, il importait à un agent de la France de s’appuyer sur des documens certains. M. Fontanier n’y a pas manqué. Cependant que dirait l’Angleterre, si une croisière française, stationnant au détroit de Bab-el-Mandeb ou à l’entrée du golfe Persique, visitait et arrêtait les navires arabes qui font ainsi la