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cependant il saura s’y soumettre à l’occasion ; d’ailleurs ce n’est pas en Asie seulement que l’or anglais a contribué à décider du sort des empires.

Dans des circonstances opposées, l’habitude de la toute-puissance dans ces contrées de l’Asie donne aux Anglais, à leurs propres yeux, le droit de se permettre et de regarder comme légitimes les actes les plus étranger, les plus contraires au droit international. Il est si difficile d’être juste quand on est le plus fort, quand on n’a de juge que sa conscience, quand on agit surtout dans les intérêts de la politique de son pays ! Ainsi, « ils avaient établi et reconnaissaient le roi de Perse, maintenaient près de lui un ambassadeur, et sur la frontière de la Perse, à Bagdad, ils avaient sous leur protection et à leur solde un prétendant à la couronne de ce souverain. » Ce prétendant, c’était un danger dont ils menaçaient le schah, dans le cas où il se fût laissé guider par la Russie, un épouvantail qu’ils tenaient là devant ses yeux, pour le contraindre à se plier à leurs vues. A côté de cette grande et visible intrigue tramée contre une cour entière, nous pouvons citer cet autre fait, qui, minime en apparence, n’a peut-être pas moins de portée quand on l’envisage sérieusement. Une lettre adressée par le consul français de Bassorah à l’ambassadeur de Constantinople est remise à ce dernier décachetée, avec cette suscription : ouverte par les Arabes ! — Après l’avoir ouverte, les Arabes s’étaient donc donné la peine de la replier poliment, de la faire parvenir à sa destination ! Ce sont là les façons dont on use dans l’Inde à l’égard des rajahs protégés. L’Angleterre a raison d’être défiante ; on s’explique pourquoi elle met des courriers spéciaux à bord des bateaux à vapeur étrangers qui portent ses dépêches.

Tous ces actes indiquent assez un parti pris de poursuivre sur les bords de l’Euphrate l’accomplissement de projets formés, il y a long-temps, par une politique infatigable. Aux réclamations d’un agent français, l’agent anglais oppose le silence ; au lieu de discuter le fait dont on l’accuse, celui-ci affecte de ne rien entendre ; la chose tombe d’elle-même. L’entreprise paraît oubliée, jusqu’au jour où une occasion se présentera de la tenter sur de nouveaux frais. Puis, tout à coup, au moment où l’on y pense le moins, la nouvelle arrive qu’une intrigue lentement ourdie a porté ses fruits. En y regardant de près, cependant, on verrait au milieu de l’anarchie qui déchire ces provinces, une nation vigilante toujours debout, tantôt immobile, tantôt avançant à pas comptés, comme la statue du commandeur, tantôt intervenant d’une façon directe et grandissant sur les ruines qui l’entourent. Elle s’y montre seule, ou du moins y tient le premier rang ; elle se place