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L’occasion se présenta de réaliser ses projets, et si plus d’un motif étranger aux intérêts généraux détermina Charles X à la saisir, au moins la conquête d’Alger causa-t-elle sur les deux rives de la Méditerranée assez de sensation pour qu’on en comprît toute l’importance.

Cette expédition d’Alger sera jugée un jour comme le complément de l’émancipation de la Grèce, comme un dernier exemple des entreprises aventureuses dans lesquelles un gouvernement se lance sous l’impression d’une juste colère, sans trop s’inquiéter de l’avenir, et surtout comme un premier effet de la réaction de l’Occident contre l’Orient. Il a été donné à la France, en plus d’une occasion, de marcher la première, quelquefois même avant les temps favorables. L’empire ottoman, déjà affaibli du côté de l’Europe, était entamé sur l’autre bord de la Méditerranée ; le signal venait d’être donné par cette conquête, qui cependant n’avait point pour but de démembrer la Turquie. Un établissement français sur le littoral de l’Afrique occidentale, à trois jours des côtes de Provence, une colonie enfin, émut moins la Porte elle-même que la nation décidée à dominer toute cette mer intérieure du haut des rochers de Malte. Par suite des événemens de 1815, l’Angleterre s’est trouvée placée si haut, elle a si rapidement exploité à son profit les années de paix, qui sont pour elle des temps de conquêtes, que son orgueil se révolte à la seule idée d’un succès étranger. Ce qu’elle n’a pas fait, elle ne voudrait pas qu’une autre nation l’eût accompli. Aussi vit-on cette puissance, fidèle à son système d’égoïsme, fournir des armes aux Arabes contre nous, s’agiter à la fois du côté de Maroc et de Tunis, compter avec joie dans les colonnes de ses journaux le nombre des soldats que nous enlevaient les batailles et les maladies, rabaisser ou exagérer à dessein nos avantages et nos prétentions. Toutefois elle nous laissa continuer, à travers un pays ingrat, cette lente trouée qui coûte tant de sang et de fatigues. Une occupation condamnée à être long-temps stérile cessa de l’alarmer ; elle porta ses vues ailleurs, dans des parages où elle serait moins observée, où son action serait plus efficace, son influence moins balancée.

Cependant, à mesure que la Turquie, considérée de plus près, fut moins en état de cacher sa faiblesse, les vices de ses institutions, l’anarchie de ses provinces, Constantinople devint le théâtre de luttes diplomatiques fort curieuses, dans lesquelles chaque nation s’efforçait d’affermir l’empire chancelant, quand une nation rivale cherchait à l’ébranler. Mais au milieu de ces conflits arrivait la crise suprême que les puissances redoutaient parce qu’elles n’y étaient pas encore préparées ; à l’envi l’une de l’autre, elles se mirent, dans leur intérêt