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elle-même a été atteinte, l’histoire à laquelle des travaux sérieux et persévérans, de nobles efforts, un souffle puissant et nouveau, assurent une place élevée dans l’avenir. Sans doute, à côté des vieux athlètes irréprochables et vénérés, il se groupe toujours de jeunes et consciencieux travailleurs, et le sillon historique n’est pas en friche ; mais le mal est à côté du bien, et s’il y a une portion saine, il y a une autre portion que l’ulcère hideux a gagnée. La bonne érudition, en plus d’un endroit, est un luxe inutile ; le sophisme ignorant et hardi réussit plus vite. Et quelles exorbitantes vanités se sont produites au grand jour dans ce champ-clos ! n’avons-nous pas vu des gens se poser en fondateurs de dynastie, et faire modestement dater la véritable histoire du jour où ils publiaient leur premier livre ? Ici quel étalage, le soir, de la science acquise le matin I Là, s’est-on assez souvent trompé de style ? a-t-on assez souvent fait du pamphlet acerbe, en se donnant dans la préface pour le plus impartial des hommes ? et que dire de cet infatigable compilateur, espèce de bénédictin marchand, qui écrit l’histoire à la course, crée dix volumes en un tour de main, et auquel la critique bienveillante devrait envoyer, le jour de sa fête, un Salluste doré sur tranche ?

Au milieu des habitudes de cette vie littéraire, dont nous avons essayé de peindre quelques traits, dans cette bruyante cohue, comment pourrait-on observer la mesure en quoi que ce soit ? Aussi de tous côtés ce ne sont que voix qui détonnent. L’outrecuidance est de mode ; on tranche à tout propos avec un imperturbable aplomb : on a trempé une plume dans son écritoire, et l’on retire une épée d’Alexandre. Cependant l’outrecuidance est toujours une absurdité : si on a raison, elle diminue le triomphe, et, si on a tort, elle ajoute à la honte de la défaite. Je ne sais trop qui a dit cela, mais je crois qu’il a bien dit. Je crois également qu’on pourrait être poli, sans cesser d’être mordant. Un peu d’urbanité ne gâte rien, et si, dans les différends nombreux qui s’élèvent entre écrivains, on se piquait de politesse, tout le monde y gagnerait. Qui ne préférerait un élégant tournoi entre gens d’esprit à une grossière polémique de la halle ?

Ce qui a de tout temps existé, c’est l’admiration que l’auteur médiocre a pour son ouvrage, l’enthousiasme que le mauvais poète éprouve pour ses vers. D’Alembert cite à ce propos le mot d’un spirituel jésuite : Dieu, qui est bon, donne aux grenouilles de la satisfaction de leur chant. Ce sentiment a commencé avec la littérature ; ce qui est nouveau, c’est la forme qu’il revêt aujourd’hui : il s’est frotté d’un faux dédain. On a l’air d’estimer fort peu son œuvre, on la