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— Lorsqu’elles n’ont pas une foi sérieuse et profonde qui leur sert de centre et de point de ralliement, ou une sage direction qui leur en tient lieu, les imaginations tumultueuses et faibles, si richement douées qu’elles soient du reste, sont à la merci des événemens et des rencontres.

Les excès de tous genres, dans le roman, ont été trop violens et trop nombreux pour que la punition ne se soit pas déjà montrée en maint endroit. Il y a déjà de célèbres victimes. J’ai vu plus d’un héros de la veille passer sur une civière : on allait les enterrer clandestinement. — Vous souvenez-vous de cet écrivain : pénétrant qui exposait son sujet avec bonheur, analysait un caractère avec finesse, et connaissait assez bien les détours du cœur de la femme, quoiqu’il s’en vantât ? Obscur pendant sa jeunesse, il arrivait à la réputation précisément à cet âge où l’on doit savoir l’apprécier ce qu’elle vaut. Eh bien ! il a agi à l’égard de cette réputation, chèrement achetée, absolument comme s’il ne l’avait pas long-temps poursuivie sans l’atteindre, et qu’elle fût venue à lui en maîtresse banale, en courtisane vulgaire ; il l’a si fort maltraitée, qu’elle est restée agonisante sur la place. Il me semble qu’on ne peut pas considérer sans une sorte d’effroi les ravages qui se sont opérés dans ce talent. Lorsqu’il crée un caractère de femme, soutient-il une gageure ? Je le crois ; donner à une épouse d’un jour la corruption consommée d’une matrone romaine et à la fraîche et gaie pensionnaire tous les dérèglemens d’esprit d’un épicurien blasé, n’est-ce pas se moquer du lecteur, à moins que toute jeune fille ne pense et ne parle maintenant comme un romancier émérite ? Il y aurait de quoi trembler pour toutes les mères, si l’on ne savait que le fin observateur a disparu depuis long-temps, et qu’il ne reste plus qu’un écrivain bizarre, dont les contes pèchent à la fois par un excès d’idéal et un excès de réalité, et, trop vrais sous le rapport matériel, sont complètement faux sous le rapport de l’âme et du cœur. Quant à son style, il l’a gâté comme le reste. Ce style, qui avait quelquefois du bonheur, est constamment diffus, chargé de néologismes, et ressemble à une rivière bourbeuse qui charrie de tout, le lendemain d’une inondation. Seule, son ambition n’a pas été entamée, et vous savez si. elle est modeste ! Il croit que rien ne peut faire obstacle à son heureux génie, qui, sur tous les points du monde poétique, n’a qu’à se montrer pour triompher ! Il a essayé du conte rabelaisien et de la physiologie libertine ; le lendemain, transformant le curé de Meudon en Swedenborg, et s’élançant du seuil de l’abbaye de Thélème, il a tenté une ascension dans les mondes mystiques, s’est égaré