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les solitudes tristes et fleuries du plus beau canton de son pays Milton et Homère, Burke et le docteur Lowth, Mallet et les skaldes, le jeune poète voulut réaliser sa gloire, et essaya d’appliquer à la description de l’Ecosse sauvage et de ses mœurs les nuances et les souvenirs dont il était imprégné. Il se trompait de route. Ses deux poèmes, le Highlander (le montagnard), et le Hunter (le chasseur), n’attirèrent l’attention de personne. En vain l’aventurier pauvre et ambitieux avait réuni là-dedans météores, nuages, montagnes, vierges armées, orages et fantômes, tout ce qui peuple les poèmes d’Ossian. L’imitation trop évidente des poèmes à la mode, du Caractacus de Mason, des poèmes Scandinaves de Gray, du style pompeux de Thomson, nuisait à la popularité de l’œuvre, et le désappointement du jeune homme était extrême, lorsqu’une circonstance inattendue lui révéla sa mission. Home, auteur de Douglas, tragédie élégante et peu dramatique, et l’une des gloires de la littérature écossaise à cette époque, s’était mis à la recherche des fragmens keltiques, auxquels il attachait une importance extrême : il lui arriva d’en parler en présence de Macpherson, qui ne craignit pas de prétendre qu’il en possédait plusieurs. On le presse. Il recule ; puis, au bout de quelques jours, il offrit à Home, qui par parenthèse ne savait pas un mot de gaélique, la traduction d’un fragment prétendu original, et si évidemment controuvé, qu’il l’a retranché depuis de sa collection ossianique. Home avait de l’influence et des amis ; la vanité nationale s’émut. Blair, autre esprit délicat et crédule, prit à cœur cette résurrection, qui donnait un Homère inattendu, non-seulement à l’Ecosse, mais à l’Europe keltique, fond primitif de nos civilisations. L’intérêt du dernier souffle s’attachait à ces populations mourantes ; c’était leur agonie. Il y avait peu d’années que le désarmement des clans ou klaans, la destruction du patriarcat des montagnes, annonçaient l’accomplissement des destinées et jetaient sur ces idiomes et ces coutumes, qui allaient disparaître, une lueur mélancolique.

Macpherson entrevit sa fortune et sut profiter du moment. Abandonnant avec joie le stérile métier d’un précepteur que la pauvreté reléguait dans une solitude misérable, il laissa ses nouveaux amis, les keltes littéraires, fournir aux dépenses de son voyage d’agrément, et séjourna dans les Highlands pour y rechercher des fragmens ossianiques. C’était entre 1766 et 1767. L’Angleterre puritaine, triste encore, mais moins sévère qu’à l’époque de Daniel De Foë, voguait en pleine mer sentimentale ; Richardson, Young et les tragédies