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ballades keltes se chantaient encore au XVIIIe siècle, défigurées par leur course à travers les âges, et dont plusieurs, comme l’a très bien prouvé Finn Magnussen dans son remarquable essai[1], paraissent se rapporter à des origines scandinaves et non keltiques. Le nom d’un barde, Ossain chez les Irlandais, Oïsian chez les Écossais, s’y trouvait répété assez souvent, et la plus remarquable de toutes ces chansons le montrait comme ennemi du christianisme, ou du moins comme rebelle à ses enseignemens primitifs. Ce n’est pas, à proprement parler, de la poésie ; c’est la chronique mesurée, qui sert d’annales aux peuples privés de l’imprimerie et peu habitués à écrire. Le caractère général des fragmens keltes n’est pas la mélancolie, la grâce ou la facilité de l’imagination ; c’est la rapide énergie de la volonté, le fragment qui suit en est une preuve. Quant à la mise en scène, on peut la créer sans peine ; Ossian se repose au pied d’un arbre ; le prêtre convertisseur de l’Irlande, Patrick, se tient debout devant lui, et les répliques se succèdent par stances alternées, dont nous conservons autant que possible le mouvement naïf :


OÏSIAN ET PATRICK.

« Patrick, conte ton conte ; je te le demande de par les livres que tu as lus ! Vraiment, les nobles Fions d’Irlande ont-ils possession du ciel[2] ?

— Je t’assure, Ossian aux grandes actions, que le ciel n’est pas en pos- session de ton père, ni d’Oscar, ni de Gaul.

— Patrick, voilà un mauvais conte, que tu me contes sur mes pères. Pourquoi serais-je dévot, si le ciel n^est pas en la possession des Fions d’Ir- lande ?

— Tu dors, Ossian, et il y a long-temps. Lève-itoi et écoute les psaumes, ta force est morte ; tu ne peux plus résister à la fureur de la bataille.

— Eh bien ! si je suis vieux et sans force, si les Fions ne sont pas au ciel, j’enverrai promener ta cléricature (chlersenach’d) et je ne t’écouterai pas chanter.

  1. Forsag til Forklaring over nogle Steder af Ossian, etc. Copenhague.
  2. Transactions of the royal Irish academy ; Dublin, p. 96. — Le UrnigJi Oïsian (prière d’Ossian) commence ainsi :

    « Innis sgeul a Phadruic
    « An n’onair de leibh,
    « Bheil noamh gu aridh
    « Aig maithibh Fianibh Eirin, etc. »

    Chaque Interlocuteur réplique par une strophe de quatre vers de six pieds.