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exactement qu’à André Newport, écuyer, second fils de Henry Newport, de High Ercol, créé lord Newport le 14 octobre 1642. Ce même André Newport, sans doute l’auteur des présens mémoires, fut créé commissaire des douanes après la restauration, en récompense de ses bons et loyaux services. » Qui ne croirait à tant de candeur ? qui douterait de la bonne foi d’un éditeur si scrupuleux ? Eh bien ! de tout cela, pas un mot n’est vrai. Newport n’existe pas ; le commissaire des domaines est un fantôme : cette pairie, ce domaine, ce château d’High Ercol, pures chimères.

Les innocentes impostures de Daniel sont entrées dans l’histoire. Le Cavalier a été cité vingt fois comme autorité ; ce n’est qu’un roman. Daniel mettait dans la bouche d’un royaliste, qui devait nécessairement être bien instruit des faits, la peinture scandaleuse du camp et de la cour de Charles Ier.

Tout est donc sérieux dans la fiction de Daniel De Foë. Homme convaincu, faussaire résolu, il exécute ses fraudes avec la préméditation d’un dévot et le fanatisme froid d’un homme de parti. De là son dévouement et la grandeur désintéressée avec laquelle il a exécuté ses impostures. Un jour, fuyant ses créanciers, ce don Quichotte de la morale, lequel n’avait pas de Sancho, rencontra dans une taverne un matelot couvert de peaux de bêtes qu’il se plut à confesser : Alexandre Selkirk, l’original de Robinson. Il usa de l’occasion, et exploita cette fortune. Le calviniste écrivit les mémoires d’un homme en face de Dieu, revenu à la vie primitive et retrouvant Dieu dans le désert. L’Europe fut ravie, non de la morale puritaine libéralement jetée sur l’œuvre, mais de ce sauvage et minutieux tableau. On était las des grandes villes. Le besoin de la solitude avait saisi les cœurs puissans et les esprits supérieurs ; le Ferney de Voltaire, la retraite de Rousseau, Cowper à Olney, Gibbon à Lausanne, attestent que l’on pressentait une destruction et que chacun fuyait au désert.

Robinson toucha tous les buts de l’époque : livre populaire, d’indépendance, de liberté, livre de prose, livre d’exaltation, hymne de la vie sauvage, il eut dix éditions d’un coup. Jean Jacques y but à longs traits l’amour de la solitude ; lui, dont la fibre était si ardemment populaire, l’enthousiaste au style ardent, comprenait l’œuvre pâle du puritain de Londres. Voici l’homme abandonné par la société, créant un monde. « Prends confiance, dit l’auteur, en ta force personnelle ! Tu n’as plus que toi et Dieu ! Marche, travaille, crée ! » Cela devait plaire à une époque prête à défaire sa civilisation, à dépouiller ses vieux ornemens, à rejeter ses anciennes institutions. L’effet social