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prédécesseurs, mais ils pratiquent la même politique avec plus de prudence et de mesure : ils ont sur eux l’avantage, bien grand dans la vie politique, de n’avoir pas à se faire pardonner un passé en complet désaccord avec le présent ; ils ne seront donc pas obligés de faire du zèle, car, quoique la carrière de la plupart des nouveaux ministres n’ait pas été éminente, elle se rattache à toutes les phases de l’histoire du parti modéré. Étroitement liés par la parenté ou par la sympathie avec feu le comte de Toreno et avec M. Martinez de la Rosa, les principaux agens du nouveau cabinet ont suivi la fortune de ce grand parti, qui est devenu plus que jamais le parti véritablement national. La monarchie d’Isabelle II et la liberté constitutionnelle, l’application des maximes françaises et l’alliance avec la France, tel est le point fixe vers lequel a constamment gravité l’Espagne pendant cette crise de douze années. Toutes les fois que ce pays a pu révéler sa volonté véritable et qu’il a été laissé à lui-même, il a remis le pouvoir aux mains des hommes dont les croyances politiques se résument dans cette double formule, il a appuyé MM. de Toreno, Martinez de la Rosa, d’Ofalia, Isturitz, etc. Des événemens funestes et des intrigues étrangères ont pu seuls arracher la Péninsule à ces influences, auxquelles adhère la grande majorité de la nation. Il a fallu la surprise de la Granja et le mouvement de Barcelone, la trahison d’un sergent ivre et celle d’un général ingrat, pour donner au parti exalté une position bien supérieure à son importance réelle dans le pays. Que les nouveaux ministres investis de la confiance des deux reines se pénètrent des besoins de l’Espagne, qui aspire à l’ordre autant qu’à la liberté, qu’ils usent de leur force sans en abuser, et ils auront l’honneur de calmer au moins pour quelque temps l’effervescence des partis. L’état régulier une fois rétabli, une grande question restera à résoudre, question d’avenir pour la Péninsule et de sécurité pour la France, celle du mariage d’Isabelle II. Le moment est venu de la trancher, et ce n’est pas sans étonnement qu’on voit M. l’ambassadeur de France, à peine installé à Madrid, prendre un congé pour revenir à Paris. Les amis de M. Bresson ne s’expliquent pas un retour aussi brusque.


V. de Mars.