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que, si les ressources et les profits du travail sont diminués pour les classes ouvrières, il faudra nécessairement abaisser dans la même proportion le prix des denrées de première nécessité. Les tories exaltés, qui ont été contre les douze heures, moins peut-être par humanité que pour se venger du parti industriel et des soucis que leur cause la ligue des céréales, ont donc, sous ce rapport, méconnu l’intérêt principal qu’ils ont mission de représenter. Toutes ces difficultés ont constitué au sein du parlement une situation de plus en plus incertaine. Le ministère est affaibli, et ne se maintient plus que par l’appréhension que cause le nom de ses successeurs inévitables. De là l’obligation de transiger, de pactiser soit avec les coteries au sein du parlement, soit avec les corporations puissantes au dehors. Le rappel de lord Ellenborough et son remplacement par sir H. Hardinge sont les résultats de ces nécessités, qui pèsent d’un poids chaque jour plus lourd sur le ministère de sir Robert Peel. Les motifs de cette résolution n’ont pas été rendus publics, mais ils n’ont pas échappé à la sagacité des hommes qui connaissent les affaires.

La prise de possession du Scinde a été considérée en Angleterre comme une iniquité au point de vue de la morale, et comme un acte des plus dangereux au point de vue des intérêts politiques. L’opinion de la cour des directeurs était que, si l’on eût perdu la bataille si disputée de Miané, les conséquences de cet échec auraient été terribles. Les résultats matériels de cette conquête n’ont abouti jusqu’à ce jour qu’à surcharger le budget de l’Inde d’une dépense d’un million de livres sterling. Il a fallu augmenter l’armée de douze mille hommes. C’est un renfort de plus à ces cent quatre-vingt mille cipayes qui tiennent dans leur main le sort de l’empire britannique ; c’est de plus une épreuve dangereuse pour leur douteuse fidélité, car une effroyable épidémie décime l’armée du Scinde, et l’on sait que la religion des Indiens leur interdit de passer l’Indus. A l’époque de cette expédition aventureuse, la cour des directeurs réclama vivement la destitution de lord Ellenborough, qui ne dut son maintien qu’à l’autorité du duc de Wellington, son ami politique et personnel. Depuis, les directeurs ont profité de l’expédition fort inutile sur Gwalior pour exécuter une résolution que divers symptômes menaçans leur ont fait considérer comme urgente. Cet acte d’un corps puissant et éclairé, profondément dévoué au parti conservateur, a été considéré par les feuilles de toutes les opinions comme un affront sanglant fait au cabinet. L’irritation de lord Wellington a été extrême, et il a vivement attaqué la cour des directeurs devant la chambre des pairs. On a même menacé assez publiquement de modifier la charte de la compagnie ; mais la réflexion est venue, et l’on a fini par comprendre que les embarras du gouvernement étaient trop grands pour qu’il fût possible de les aggraver encore par une lutte avec une corporation puissante. Les directeurs, pendant ces débats intérieurs du cabinet, se tenaient parfaitement tranquilles, et déclaraient hautement que leur conduite serait réglée sur celle du ministère.