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lorsque la vapeur apparaît avec la mission de favoriser la guerre d’invasion par mer, il est juste, il est national, de se préoccuper, en vue de la force continentale de la France, de cette importante fonction de la marine à vapeur.

Est-ce à dire qu’en temps de guerre le rôle de cette marine se bornerait à un rôle de transport, de porte-faix ?

Encore une fois non.

Que les plus incrédules, que ceux qui, par conviction ou par intérêt, s’obstinent à nier la puissance militaire d’un vapeur, veuillent bien nous dire quelle serait l’issue d’une lutte engagée entre un vaisseau de 2e rang et 2 vapeurs de 450, ou bien entre ce même vaisseau et 3 vapeurs de 320, qui offrent un équivalent pour la dépense d’entretien ; qu’ils opposent à un vaisseau de 1er rang 6 vapeurs de 220 !

Les chances sont-elles donc tellement inégales, qu’il y ait inévitablement succès d’un côté et défaite de l’autre ? On ne le croit pas. On croit que les chances seraient au moins balancées.

Le développement de cette opinion, qui compte aujourd’hui de nombreux partisans, est en dehors du cadre que l’on s’est tracé. On se borne à dire ici, d’une manière générale, et l’on espère être compris de tout le monde, qu’entre navires à voiles et navires à vapeur la force ne se compte plus par le nombre des canons ; que d’autres élémens sont entrés dans ce calcul : si le navire à voiles a pour lui le nombre de ses canons, le vapeur possède des avantages qui lui sont propres. Il est toujours libre d’accepter ou de refuser le combat, tandis que, dans presque tous les cas, il peut y contraindre son adversaire ; maître de son moteur, il peut choisir son point d’attaque et sa distance, et tandis que la masse de son adversaire offrira, aux coups bien pointés d’une artillerie puissante de calibre et d’effet, un large champ de mire, il échappera, par le mode spécial d’attaque qui lui convient, à la plupart des coups de son adversaire.

Quelle que soit la solution que l’on donne à la question, c’est en ces termes qu’il faut la poser aujourd’hui, et l’on croit qu’ainsi posée, il n’est pas nécessaire d’être marin pour la comprendre, sinon pour la juger.

Si, dans la comparaison que l’on a cherché à établir plus haut, on ne s’est pas occupé des dépenses d’entretien et de renouvellement du matériel, c’est que sur ce point on n’avait à produire que des hypothèses plus ou moins contestables. Cependant on possède une donnée empruntée à des documens officiels et que l’on croit propre à fournir un élément important de comparaison. L’expérience démontre que, dans le service d’Afrique, la durée moyenne des chaudières est de cinq à six ans. Or, si cette durée est admise, si l’on admet en même temps que, dans les vapeurs, le dépérissement des chaudières est une des causes les plus actives et les plus efficaces de dépense, on demande si des bâtimens à voiles soumis au même service, service incessant d’été et d’hiver, soumis de plus à des chances de naufrage auxquelles échappent les vapeurs, si ces navires à voiles n’occasionneraient