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SUPPRESSION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS.

d’Avignon en augmentait la violence ; Clément XIV tomba dans le mépris de ses sujets. Le peuple s’indignait de voir un pape prosterné aux pieds des princes, et prosterné sans espérance ; il demandait à quelle époque Avignon, Bénévent, ces conquêtes chères à l’orgueil romain, seraient enfin le prix de l’avilissement de Ganganelli. Sa pauvreté volontaire, qui jadis l’avait rendu si populaire parmi les Transteverins, devint un sujet de railleries ; elle lui fut imputée à crime comme une honteuse avarice. Il n’avait ni favoris, ni neveux, il n’enrichissait pas sa famille ; on ne lui en savait aucun gré. Par suite d’une administration négligente, la disette régnait dans Rome. Les cardinaux, de leur côté, ne pouvaient supporter l’éloignement du pontife pour leurs avis. Les grands seigneurs, les dames romaines n’avaient ni crédit, ni influence. Tous confièrent leur vengeance aux jésuites. Ceux-ci s’étaient ranimés, ils étaient revenus d’un premier étourdissement, ils portaient la tête haute. Pour endormir ou pour compromettre Ganganelli, ils répandirent les bruits les plus hasardés. À les en croire, le roi d’Espagne, mieux éclairé, ne songeait plus à les persécuter. La France les soutenait : une des filles de Louis XV, Mme Louise, devenue religieuse, plaidait leur cause auprès de ce monarque, et Bernis leur avait promis son appui. Ils s’efforcèrent d’éblouir tous les regards par l’étalage de leur prétendue victoire. Dans la réalité, le pape se voyait menacé par les trois cours de la maison de Bourbon, par le Portugal, dont la froide réconciliation était au prix du bannissement des jésuites, par le grand-duc Léopold et l’empereur Joseph, qui essayaient déjà la réforme qu’ils poursuivirent depuis avec tant de persévérance. Rome n’avait plus de protecteur dans le monde catholique. Charles-Emmanuel lui restait fidèle ; mais, en présence de l’hostilité des deux premières cours catholiques, l’appui du roi de Sardaigne n’aplanissait guère les obstacles sous les pas du saint-père.

Clément XIV était bien digne d’intérêt et, si on ose le dire, de commisération. Dieu n’avait point créé son ame pour de si rudes tempêtes. Doux et humain, il était aimable dans l’intimité, non comme Benoît XIV, par un tour d’idées original ou des aperçus très fins, mais par une bonhomie spirituelle, par une humeur égale, sans fadeur ni monotonie. Il ne sortait jamais des bienséances de son état de prêtre et de son rang de souverain pontife, mais il ne réprouvait pas une raillerie innocente. Pourtant, c’est à tort qu’on a voulu lui faire une réputation d’écrivain. Jamais on n’a pu produire les originaux des lettres publiées sous son nom par le marquis Caraccioli. D’ailleurs, authentiques ou supposées, ces lettres sont assez médiocres, et l’esprit