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son austérité des dernières années, tout en retrouvant ses grâces polies et quelques-unes de ses adresses d’autrefois. A un certain moment, comme il jugea l’affaire perdue, il se crut inutile, et, laissant le reste de la conclusion à son confrère, il s’échappa dans l’impatience de retrouver sa chère solitude. Arrivé à Lyon, il y fut atteint par des lettres de Rome et de Paris qui le blâmaient également de sa précipitation. A Rome, on avait appelé cette fuite une furie française. Rancé, fidèle au principe d’obéissance, repartit sans murmurer de Lyon pour Rome, y reprit la négociation sans espoir, y subit jusqu’au bout toutes les lenteurs, et ne revint qu’après le procès perdu, ayant bien mérité, encore une fois, son désert. Il y remit le pied le 10 mai 1666, et ne s’appliqua plus qu’à embrasser pour lui et pour les siens la vraie pratique de cette pénitence sur laquelle on disputait ailleurs. — Le biographe de Rancé n’a pu s’empêcher de rappeler, à propos de ce voyage de Rome et de ce procès perdu, un autre voyage et une autre condamnation qui ont eu bien du retentissement de nos jours ; mais les momens, les situations, les intentions, diffèrent autant des deux parts que la conduite qui a suivi. Je ne voudrais rien dire qui eût l’air d’amoindrir M. de Lamennais ; l’éloquent et agréable auteur des Affaires de Rome sait trop bien la vie de Rancé pour ne pas s’en dire beaucoup plus à lui-même.

L’histoire de la Trappe, dans les années suivantes, serait celle des progrès insensibles, silencieux et cachés ; le bruit qui en arrive au dehors en fait la moindre partie et souvent la moins digne d’être sue. L’austérité du fond commençait à devenir un attrait irrésistible pour quelques-uns ; ils y accouraient des monastères voisins comme à une ruche d’un miel plus céleste. Rancé pouvait se dire un ravisseur d’ames, et il avait quelquefois à les disputer aux autres couvons qui les voulaient retenir. Ce sont là les grands événemens, les conflits qui faisaient diversion à cette première simplicité du labeur. Vers 1672, la Trappe était arrivée à sa haute perfection, à sa pleine renommée monastique, et un monument original de plus s’ajoutait dans l’ombre à l’admirable splendeur qui éclaire ce moment de Louis XIV.

S’il était permis, sans rien profaner, de saisir l’ensemble et de tout mettre en compte dans le tableau, nous dirions que cette heure de 1672 fut sans doute la plus complète d’un règne si merveilleux. Jamais maturité plus brillante et plus féconde n’offrit plus d’œuvres diverses et de personnages considérables en présence. Le groupe des poètes n’avait rien perdu : Boileau célébrait le passage du Rhin ; Racine, au milieu de sa course, reprenait haleine par Bajazet. La Fontaine