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de Philologie[1], en cite une qui est piquante en effet, mise en regard de l’avenir : « Qu’est-ce que tu peux souhaiter, ô chantre Anacréon ? Est-ce donc Bathylle que tu aimes ? Est-ce que tu aimes Bacchus ? Est-ce que tu aimes Cythérée, ou bien les danses des vierges ? Mais voici ce jeune Armand, bien préférable à Bathylle, bien préférable à Bacchus, bien plus désirable que Cythérée, que Comus et que les vierges. Que si tu possèdes Armand, oh ! alors, tu possèdes toutes choses. »

Les études les plus contraires se disputaient l’inquiète curiosité du jeune Rancé ; il s’adonna quelque temps à l’astrologie. La théologie pourtant n’était pas négligée ; il y réussit, il fit merveille au doctorat, il prêchait éloquemment. Sinon en politique, du moins en dissipations contradictoires, il semblait serrer de près la trace de Retz, son aîné de douze ans, et il fut aussi à sa manière un des roués de cette première régence, ne bougeant, dit Saint-Simon, de l’hôtel de Montbazon, ami de tous les personnages de la Fronde, et faisant volontiers de très grandes parties de chasse avec M. de Beaufort, le chef des importans. Un biographe élégant, l’abbé de Marsollier, nous l’a peint avec une sorte de complaisance : « Il étoit à la fleur de l’âge, n’ayant qu’environ vingt-cinq ans ; sa taille étoit au-dessus de la médiocre, bien prise et bien proportionnée ; sa physionomie étoit heureuse et spirituelle ; il avoit le front élevé, le nez grand et bien tiré sans être aquilin ; ses yeux étoient pleins de feu, sa bouche et tout le reste du visage avoient tous les agrémens qu’on peut souhaiter dans un homme. Il se formoit de tout cela un certain air de douceur et de grandeur qui prévenoit agréablement et qui le faisoit aimer et respecter tout ensemble[2]. » Avec une complexion très délicate, on comprenait à peine qu’il pût suffire à des exercices aussi divers : il portait dès-lors dans son activité aux choses disparates ce quelque chose d’excessif et d’infatigable qu’il

  1. Tome I, page 149.
  2. En regard de ce portrait du jeune homme il n’y qu’à mettre tout aussitôt celui du vieillard, vu plus de quarante ans après, tel que nous l’a rendu Saint-Simon lorsqu’il employa cette ruse ingénieuse pour le faire peindre à son insu par Rigauld : « La ressemblance dans la dernière exactitude, dit-il, la douceur, la sérénité, la majesté de son visage, le feu noble, vif, perçant, de ses yeux, si difficile à rendre, la finesse et tout l’esprit et le grand qu’exprimoit sa physionomie, cette candeur, cette sagesse, paix intérieure d’un homme qui possède son âme, tout étoit rendu, jusqu’aux grâces qui n’avoient point quitté ce visage exténué par la pénitence, l’âge et les souffrances. » Tous les visiteurs du temps s’accordent à parler de cette physionomie fine et délicate, de cet air noble de M. de la Trappe, qui tranchaient sur la rudesse de sa vie.