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génie italien est une espérance, mais il faut le respecter tel qu’il est, comme il se produit, si on ne veut pas désespérer de l’Italie. Or le génie italien s’est de tout temps développé par la complication : c’est là sa force et son originalité, c’est là ce qui le fait vivre et grandir par ses divisions mêmes. Voyez l’ancienne Italie, avec ses races, ses villes, sa civilisation et ses monumens cyclopéens : il faut des siècles à Rome pour la vaincre, et Rome, grâce à cette lutte, devient assez forte pour soumettre le monde. Au moyen-âge, la division reparaît : toutes les villes italiennes ont leur iliade, leur poésie, leurs gloires, ce qui n’empêche ni le développement du commerce italien, ni celui de la littérature, ni l’indépendance du pays. A la renaissance, l’Italie réunit chez elle tous les principes, tous les gouvernemens, toutes les idées ; on y trouve toutes les formes possibles de la pensée et de la politique, depuis la république jusqu’à la théocratie. Chaque état doit lutter contre cette variété infinie d’intérêts et d’idées ; cependant la politique ne faiblit pas, il n’est pas jusqu’à la forme des gouvernemens qui ne lui offre des ressources inépuisables, et les élections de l’aristocratie vénitienne, de Florence, du conclave, deviennent des champs clos où le génie de la ruse confond dans les scrutins la prévoyance de tous les partis. La politique des Sforza, des Borgia, des Médicis, est un abîme de profondeur. L’Italie était devenue un jeu d’échec pour les princes, qui savaient équilibrer tant de forces contraires avec une merveilleuse adresse. La puissance militaire ne manquait pas, mais on la dominait par la ruse. Venise avait pu conquérir des empires en Orient ; c’est à peine si, après quatre siècles d’efforts et de persévérance, elle gagnait quelques lieues en terre ferme. Ainsi, pendant que la France, l’Espagne, les états modernes, grandissaient en se simplifiant, l’Italie grandissait avec ses divisions. Ce n’est donc ni la sagesse, ni le génie qui ont manqué à l’Italie pour conjurer sa décadence ; c’est au contraire par l’excès de son génie, par l’influence des papes, et par une fatalité étrangère, qu’elle a succombé.

On ne cesse de déclamer contre les divisions italiennes. Certes, il est très commode de soumettre d’un trait de plume quatre-vingts villes à la domination de Rome ; il est encore plus aisé de juger l’histoire d’un pays d’après une seule idée. Pour moi, je ne saurais me résoudre à condamner en quelques mots l’histoire de l’Italie, la sagesse de vingt ou trente siècles ; je ne saurais m’élever au nom d’une seule idée contre des complications si anciennes et si profondes. Assurément l’Italie doit se simplifier : la révolution française a déjà réduit à