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l’armée impériale. Le patriotisme de ce parti n’est au fond qu’un prétexte pour fermer l’Italie à toutes les idées étrangères, et la soustraire au progrès européen. C’est ainsi qu’au nom de la gloire nationale les ultra-catholiques, au-delà des Alpes, ont persécuté toutes les gloires italiennes. Bruno, aux yeux de la cour de Rome, déshonorait le pays ; Beccaria et Filangieri étaient accusés de souiller leur patrie ; aucun progrès ne s’est réalisé sans rencontrer la résistance de ce patriotisme religieux. En 1720, Giannone de Naples, profondément attaché au catholicisme, osa appeler l’attention sur les richesses scandaleuses que le clergé avait acquises : à peine son Histoire civile du royaume avait-elle paru qu’il eut contre lui les nobles, les prêtres et le bas peuple. Au marché, les femmes se servaient de son nom comme d’une injure ; dans les rues, on chantait des satires contre lui ; des nobles faisaient brûler à la porte de leurs palais ces vilains livres de l’Histoire civile ; Giannone fut sur le point d’être lapidé ; le vice-roi autrichien, ne pouvant le protéger, dut l’exiler. Des écrivains napolitains étaient sincèrement affligés qu’il pût se dire leur compatriote. Réfugié en Suisse, Giannone voulut un jour faire ses dévotions dans un village de Savoie ; on lui facilita tous les moyens d’y passer quelques heures, c’était une trahison ; arrêté dans ce village, Giannone fut jeté dans une prison du Piémont, où il mourut après une captivité de vingt ans. Voilà un

fragment de l’histoire du parti guelfe qui s’appelle national en Italie.

Depuis quelque temps, le mot de nationalité est une sorte de faux poids que les partis jettent dans la balance pour la faire pencher en leur faveur. Chacun cherche dans l’histoire un souvenir, une gloire, une époque qui représente le triomphe de l’idée qu’il soutient. Les écrivains italiens parlent beaucoup trop souvent aujourd’hui de refaire la nationalité. La crainte de ressembler à l’étranger devient un prétexte à tous les écarts : ceux-ci déraisonnent volontairement ; ceux-là se forment un style plein d’archaïsmes ; il y a des écrivains qui passent leur vie à médire de la France, et des philosophes qui s’efforcent de lutter contre le sens commun. Je ne connais pas de manie plus ridicule que celle de ces hommes médiocres qui prétendent tracer la voie au génie d’une nation et lui donner des lisières pour se soutenir. Non, la nationalité n’est pas un fruit artificiel qui puisse naître en serre chaude ; c’est le don de Dieu ; personne ne peut l’acquérir, et il est impossible de le perdre. Par lui-même, le génie national n’est qu’une disposition, une inspiration vague et muette ; il n’a de sens que par la pensée, par les principes qu’il développe ; en vertu de la logique, et cette direction nécessaire ne dépend de personne. Sans doute le