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avez beau douter des mystères ; le péché originel, l’éternité des peines, la rédemption, sont des faits perçus par la nouvelle faculté qu’a découverte M. l’abbé Gioberti. Cette faculté a reçu de graves atteintes dans les derniers siècles ; il faut la fortifier et la développer. quant aux objections de Strauss, l’abbé turinois les réfute d’un mot ; il remarque que les évangélistes et les docètes devaient en savoir plus que nous sur la vie de Jésus-Christ, ce qui ne l’empêche pas de faire l’apologie de Vico, le vrai prédécesseur de Strauss.

Après avoir raffermi la foi, M. l’abbé Gioberti songe à renouveler La philosophie. On connaît le célèbre paralogisme de Reid. Reid cherche à établit qu’il est impossible de donner la preuve du monde extérieur, il se dispense donc de la chercher, et il pense qu’il faut s’en rapporter à nos instincts. Il devient sceptique en croyant défendre le sens commun. M. Gioberti exagère jusqu’à l’absurde cette théorie de Reid, et il affirme que, par une intuition directe et indémontrable, nous voyons non-seulement la nature, mais l’acte qui crée, et Dieu. C’est là, comme on voit, le monde, la cause et la substance, ou, en d’autres termes, la ternaire de l’école éclectique. Le disciple de Reid devient ainsi, en avançant d’un pas, disciple de M. Cousin, et M. Gioberti, qui avait exagéré Reid, ne manque pas d’exagérer le philosophe français. Le chef de l’école éclectique considère l’idée de cause comme le principe qui concilie tous les extrêmes ; cette idée combine le fini et l’infini, la nature et Dieu, la pluralité et l’unité. On ne conçoit ni le monde sans Dieu, ni Dieu sans la nature ; les deux termes, soit qu’on les isole, soit qu’on les rapproche, conduisent, si on supprime la causalité, à un dogmatisme contradictoire. Aussi l’infini de l’Orient, le fini de la Grèce, accablent la raison humaine, et elle ne se relève qu’à l’instinct où elle conçoit cette cause médiatrice qui rattache le mondes à Dieu, la nature à son premier principe. M. Gioberti remplace la causalité par la création ex nihilo, il altère la psychologie de M. Cousin, et imagine la vision immédiate des trois termes, la nature, l’acte créateur et Dieu, nous affirmant sur parole que nous voyons Dieu lui-même avant de percevoir soit l’acte qui crée, soit la création. On dira que beaucoup de personnes pieuses ne voient pas clairement la création ex nihilo ; pure méchanceté. Beaucoup de peuples n’ont pas même l’idée d’un Dieu créateur ou d’un Dieu unique ; nouvelle preuve de la perversité humaine. Reste une difficulté : si nous voyons directement Dieu, la cause et le monde, à quoi bon la révélation ? Il suffira de regarder pour tout savoir. A quoi bon l’église ? Nous serons tous infaillibles. Ici M. l’abbé Gioberti, pour