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personnelles contre les écrivains, et en attaques nationales contre la France, tous les lieux communs de l’école théologique.

Si la France marche à la tête de la civilisation, d’après M. Gioberti, c’est que la frivolité est le caractère des peuples modernes, et la France, qui est, suivant l’abbé turinois, la plus légère de toutes les nations, représente naturellement la frivolité universelle. — La langue française est la langue des femmes et des enfans. — Chateaubriand, Victor Hugo, Lamartine, peuvent se comparer aux plus abominables poètes et prosateurs qui ont souillé la littérature italienne de la décadence. — Pour avoir du génie en France, il faut être méchant, cupide, vil, insolent, bavard, menteur, traître, et surtout égoïste. — L’école théologique elle-même n’est pas épargnée, et Lamennais, de Maistre, Bonald, sont insultés, car, apologistes de la barbarie, ils font preuve d’une ignorance et d’une frivolité particulières. — Bossuet, à son tour, est honni comme un écrivain boursoufflé et comme ayant soutenu la plus horrible de toutes les hérésies, la liberté de l’église gallicane. — S’il en est ainsi des théologiens, que sera-ce des philosophes ? Quelle que soit leur école, aucun d’eux ne trouve grace devant l’abbé turinois. Pour lui, M. Cousin n’est qu’une bonne pâte d’homme ; disciple de Condillac au fond, il n’a pas lu Malebranche et n’a pas compris Spinoza. — Collaborateur de l’Univers religieux, M. Gioberti en copie les aménités contre les éclectiques : « Prends garde, dit-il, de ne pas te laisser attraper par leurs paroles ; quand ils sont seuls entre eux, ils se moquent les premiers de leur doctrine : quel est l’éclectique qui rencontre un collègue sans rire ? » — Avec Descartes, l’abbé turinois se met tout-à-fait à son aise ; il le tutoie. Mon cher Descartes, il n’y a que les fous, dit-il, capables d’écrire tes livres. Suivant M. Gioberti, qui au reste ne trouve pas une seule objection nouvelle, ce pauvre Descartes est au-dessous du philosophe indien Gothama ; même au Mexico, on trouve des traces d’une philosophie supérieure à celle qui est sortie de l’école cartésienne ; la philosophie moderne, fille du cartésianisme, est moins chrétienne que ne l’était la philosophie d’Aristote. Descartes mérite la bastonnade.

C’est en l’an de grace 1839 que M. l’abbé Gioberti, voyant le dépérissement de la civilisation, nous a pris en grande pitié ; après avoir éclaté de rire en lisant Descartes, il s’est décidé à venir à notre secours avec une théorie du surnaturel.

L’abbé turinois a découvert un moyen sûr de détruire l’incrédulité moderne. On ne peut contester, à son avis, les mystères et les miracles ; nous avons une faculté spéciale pour les choses sacrées ; ce que la raison ne croit pas, la faculté du surnaturel doit le croire. Vous