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Depuis ce temps, M. Tomaseo est venu en France, et, au lieu de suivre le mouvement des idées, il s’est révolté contre l’influence française ; il a pris sa mauvaise humeur pour de la supériorité, le spleen pour du génie ; il s’est posé en grand penseur, il est resté journaliste. M. Tomaseo a publié un dictionnaire de synonymes plein de sentences libérales, un livre sur l’éducation qui rappelle l’Emile de Rousseau, plusieurs volumes de jugemens, de critiques, une foule d’articles détachés dépourvus d’intérêt, parce qu’ils n’ont plus le mérite de l’à-propos. Il y a çà et là dans ses livres de belles pages, de curieux détails, quelque scène intéressante, des souvenirs pittoresques, et toujours un grand éclat de style uni à un sentiment religieux des beautés de la langue italienne ; mais partout la forme l’emporte sur le fond, la parole sur la pensée.

Les Études philosophiques de M. Tomaseo sont disposées par maximes. En vrai rosminien, il veut compléter le sentiment par l’intelligence, et l’intelligence par le sentiment ; le sentiment isolé donne une foi sans idées, la raison toute seule donne des idées sans foi. — Divisez les deux termes, dit M. Tomaseo, vous n’aurez que de la folie ou de l’algèbre ; en les réunissant, vous aurez au contraire une synthèse divine, et notre amour donnera une forme positive au dieu négatif de la raison. — Les choses, poursuit-il en s’écartant de son maître, sont à la fois des indices, des moyens et des limites. Les limites révèlent l’existence des objets ; par la douleur qu’elle provoque en nous, la limite devient un indice ; la logique s’empare de l’indice et nous conduit à la découverte. Là commence une longue série de jeux de mots : le sommeil est une limite, le songe un indice ; la femme est tour à tour instrument et indice, quelque chose de vulgaire et de sublime. Les barbares respectent les limites, de là leur grandeur ; la sophistique les déplace, de là l’erreur. M. Tomaseo, complètement dupe de ses propres métaphores, nous recommande en même temps de respecter les limites et de les surmonter ; il change les termes suivant les besoins de la démonstration, et il ne s’aperçoit pas que son principe est une illusion qu’il rejette à l’instant même où il la propose. Le droit et la politique offrent un nouveau thème à ses concetti métaphysiques. Ici encore il veut que l’on combatte et que l’on respecte les limites ; les gouvernemens tombent en créant trop de limites, ils tombent aussi en les détruisant ; les religions se fondent sur les indices, et pourtant elles précipitent leur décadence en les multipliant. L’aristocratie, la tyrannie, la démocratie, les cultes, tout chez M. Tomaseo devient