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DE LA PHILOSOPHIE CATHOLIQUE EN ITALE.

raison à son point de départ, à cette double incertitude empirique et rationnelle, à ce rapprochement des théories de Locke et de Kant sur lequel repose son système. Comment échappera-t-il au double désespoir du sensualisme et du criticisme ? Il ne lui reste qu’une ressource, celle de la foi, d’une foi miraculeuse qui résiste à toutes les démonstrations, à toutes les preuves, à tous les faits ; mais peut-on bien espérer, à l’instant où tout un système nous impose le désespoir ? Et si même on se rattache au dogme catholique, il reste à démontrer la supériorité de ce dogme sur les autres croyances. Est-ce par le don de la foi qu’on la prouvera ? Ne voit-on pas des martyrs chez tous les peuples, pour toutes les causes, pour la science, pour l’état, pour les idées, pour tous les cultes ? La foi n’appartient donc pas exclusivement au catholicisme. Est-ce sur l’idée de l’infini que repose sa supériorité ? Mais M. Rosmini lui-même a montré que cette idée est inséparable de la raison. D’ailleurs tous les prophètes du monothéisme, tous les utopistes ne proclament-ils pas un dieu infini ? En définitive, M. Rosmini n’a reconnu le don de la grace que pour diviniser un irrésistible entêtement théologique, et pour étayer, à force de miracles, une philosophie sceptique sur tous les points. Ainsi, une idée vide, se joignant à une forme vide, à la sensation, donne, par le miracle de l’intégration, la réalité de l’univers : voilà un miracle dès l’origine du système ; la foi dans nos pensées est encore un miracle, le cours de l’histoire n’est qu’un prodige continuel ; nos convictions chrétiennes sont des prodiges. En vérité le criticisme rosminien n’est dogmatique que par une obstination surnaturelle.

III.

Le prêtre et le philosophe se combattent sans cesse chez M. Rosmini, et les traces de cette lutte se retrouvent même dans l’influence qu’il a exercée en Italie. D’abord le prêtre tyrolien ne s’est adressé qu’aux fidèles ; dès l’âge de trente ans, il fondait l’ordre religieux dont il est aujourd’hui le chef[1]. Sa dévotion, son rang, sa qualité d’ecclésiastique, ses voyages, ses relations personnelles avec le sou-

  1. L’ordre de la charité fut fondé en 1828, et solennellement approuvé dix ans plus tard par une bulle du 20 septembre 1839. On y professe les trois vœux de pauvreté, chasteté et obéissance ; le pape nomma M. Rosmini général du nouvel ordre. Cette institution compte aujourd’hui quatre maisons en Piémont, des missions en Angleterre, plus l’affiliation des sœurs de la Providence, soumises au règlement de M. Rosmini, imprimé à Lugano en 1843.