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DE LA PHILOSOPHIE CATHOLIQUE EN ITALE.

immobilisent la justice, et souvent ne font même que consacrer l’injustice. Je ne demanderai une loi écrite que lorsqu’elle sera examinée, interprétée, modifiée sans cesse par la sagesse d’un conseil permanent et infaillible. Les anciens disaient que les lois doivent commander aux magistrats, et les magistrats au peuple ; nous qui sommes chrétiens, nous devons soumettre les lois même à l’éternelle justice représentée par les plus hautes intelligences[1]. »

Il n’est pas d’utopiste qui ne pût aisément revendiquer une pareille conception, et la défendre contre la foi du prêtre tyrolien, au nom d’une autre foi. Ici encore M. Rosmini développe deux théories qui se combattent l’une l’autre. Ce manichéisme rationnel qui l’avait conduit à imaginer deux intelligences, l’une pour la vérité, l’autre pour l’erreur, l’une pour les individus, l’autre pour les masses, se reproduit dans l’antithèse de l’église et de l’empire, et l’utopie politique de M. Rosmini nous offre le plus singulier mélange d’idées charitables et répressives, humbles et fières, libérales et absolutistes. M. Rosmini plaide la cause de l’humanité contre l’empire, et il multiplie jusqu’à l’absurde les droits de l’empereur ; il plaide la cause de la charité contre l’égoïsme, et il condamne comme une spoliation injuste cette misérable taxe du paupérisme anglais. Il fonde une hiérarchie de capacités rigoureusement proportionnée aux mérites, et il exagère la propriété féodale jusqu’à consacrer le servage. Il proclame les droits de l’intelligence, de la vérité, de la liberté ; mais il ne reconnaît d’autre intelligence, d’autre vérité, d’autre liberté que celle de sa croyance. Tour à tour plus libéral que le libéralisme et plus absolu que l’absolutisme, en présence des majorités révolutionnaires, il exige l’unanimité ; en présence de l’empire, il exige le gouvernement des individus ; devant la barbarie, il invoque l’avénement de la pensée qui doit prendre possession d’elle-même, et lorsque la révolution française éclate, lorsque la pensée se pose toute seule, comme dit Hegel, pour dicter les lois, les institutions, le culte, refaire l’état, renouveler le monde, M. Rosmini applaudit aux barbares qui se précipitent contre la France. Par une illusion métaphysique, dans le monde ancien il apprécie les états en raison de la force matérielle ; par une autre illusion, dans le monde moderne il condamne les états au moment où ils viennent, avec de nouvelles armes et une nouvelle tactique, préparer le triomphe des idées nouvelles qu’il appelle accidens. Forcé de donner son dernier mot sur la civilisation moderne, il la condamne d’un côté, sous pré-

  1. Filosofia del Diritto ; Milan, 1842-44. — L’ouvrage n’est pas achevé.