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DE LA PHILOSOPHIE CATHOLIQUE EN ITALE.

Le philosophe italien fait, on le voit, la part belle à l’empire, au pouvoir temporel ; il en accepte, il en exagère même les plus tyranniques exigences ; mais c’est sur cette exagération précisément qu’il s’appuie pour abaisser le pouvoir temporel autant qu’il l’avait exalté. En justifiant la domination des pères, des vieillards, des gouvernemens, des nations les plus avancées, il n’a fait que proclamer une sorte de hiérarchie des capacités et consacrer les droits de l’intelligence dans le monde. Deux élémens concourent à établir cette hiérarchie, la pensée et la vie, en d’autres termes la capacité et l’indignation juridique (risentimento giuridico). L’esclave vicieux, le peuple ignorant, qui s’indignent de leur sort, ne peuvent prétendre à la liberté ; l’esclave et le peuple intelligent qui acceptent la servitude légitiment leur condition. Dans ces deux cas, le maître conserve ses droits : pour qu’il les perde, il faut que l’intelligence, prenant possession d’elle-même, réclame avec une juste indignation sa liberté ; c’est alors qu’éclate cette indignation juridique que le maître doit respecter. Donc, la propriété engendre l’esclavage, et le principe même de supériorité morale qui justifie l’esclavage conduit à la domination des plus dignes, à l’empire de la sagesse, de la vertu et de la vérité. Ces mots, ne l’oublions pas, ont un sens bien précis pour le prêtre tyrolien : à ses yeux, la vertu, la sagesse, la vérité, supposent la foi, et ne peuvent régner sans elle. Quand un théologien se trouve réfuté par un philosophe, c’est le philosophe qui a tort, lors même que ses objections sont victorieuses. Le croyant demande-t-il à professer publiquement son culte ? le bon droit est du côté des catholiques contre les protestans, des protestans contre les juifs, des juifs contre les déistes, des déistes contre les païens. S’indigne-t-on contre un pouvoir catholique ? l’indignation n’est pas légale, c’est la révolte d’un enfant contre le père. Toutes ces assertions, qui se trouvent implicitement ou explicitement dans la théorie de M. Rosmini, conduisent à faire prévaloir la foi sur l’intelligence. En définitive, le principe de la propriété constitue l’empire, et ce principe, se spiritualisant peu à peu, finit par constituer l’église. Dès-lors l’empire garde tous les biens, tandis qu’il livre à l’église toutes les intelligences. Cette épuration du droit individuel se fait par le progrès des lumières et par le progrès de l’indignation juridique : c’est ainsi que les peuples prennent possession d’eux-mêmes, et s’approchent toujours davantage du véritable type de la théocratie universelle.

Après avoir établi les bases du droit individuel, M. Rosmini cherche les bases du droit social. La domination purement humaine, c’est-à-