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LA VILLE DE LEEDS.

la plus grande somme de travail pour la moindre somme d’argent. Chaque journalier, bien qu’il soit payé à la journée, s’engage envers l’entrepreneur à faire une certaine quantité d’ouvrage, en sorte que la troupe tout entière se trouve contrainte de travailler avec autant d’énergie que si chacun travaillait à la tâche pour son propre compte, et que cette énergie additionnelle, qui ne profite qu’à l’entrepreneur, est dépensée en pure perte pour l’ouvrier[1]. C’est la tâche d’un homme libre accomplie par un forçat. Un autre effet de ce système consiste dans l’emploi des plus petits enfans ; on les met à l’œuvre dès l’âge de cinq ou six ans, et en excédant ces pauvres petits de fatigue, on leur interdit encore toute instruction. À quel âge les enverra-t-on à l’école, si le travail quotidien commence pour eux aussitôt que leurs jambes peuvent les porter ? Enfin les populations, transportées ainsi un jour dans une paroisse, un jour dans une autre, n’ont plus de domicile ni de foyer ; elles deviennent des espèces de tribus errantes comme ces navigateurs qui creusent les canaux et qui construisent les chemins de fer, ou comme ces ouvriers des manufactures qui changent d’atelier toutes les semaines et de ville tous les mois.

Le système du travail par compagnies me paraît la conséquence directe de la grande propriété et de la grande culture. Si le cours naturel des choses vient à développer cette tendance encore en germe, c’en est fait dans les campagnes du repos des familles, de la vigueur corporelle et des bonnes mœurs. On verra l’agriculture la plus avancée coïncider avec l’abaissement le plus complet de la population, et, la race des campagnes dégénérant, les villes n’auront plus où se recruter. Je ne m’étendrai pas davantage sur ce point ; je crois en avoir dit assez pour montrer que, si les habitans des districts ruraux participent à la dégradation des districts manufacturiers, c’est que l’agriculture tend à se constituer en Angleterre sur les mêmes bases que l’industrie. Il faut ajouter que dans les comtés les plus agricoles les travaux industriels occupent autant d’ouvriers que les travaux des champs. Il n’y a pas de chaumière de laboureur où les enfans ne soient employés ici à fabriquer des boutons, là aux ouvrages de passementerie ou de mercerie ; et quant aux hommes faits, ceux qui ne trouvent pas d’emploi dans les fermes se livrent au tissage de la toile ou de la bonneterie. M. F. Doyle fait mention d’un district, connu dans le comté d’York sous cette désignation générique « les Vallons (Dales), » où la charrue ne pénètre pas, et qui n’est qu’une immense prairie. À l’ex-

  1. Employment of women and children in agriculture, p. 224.