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braver. Dès ce jour, il voua son pontificat à toutes les ressources, à tous les artifices d’une faiblesse laborieuse.

Des obstacles insurmontables s’opposaient à l’exécution de ce projet, qui cependant n’était que l’absence de tout projet. L’Espagne et la France à sa suite demandaient avec autorité la suppression immédiate de l’ordre. Pour parer une attaque si vive, Clément redoubla d’égards et de flatteries envers les deux couronnes ; surtout il n’épargna rien pour satisfaire la vanité de Bernis, qui succédait définitivement au marquis d’Aubeterre. Quand le cardinal vint lui faire sa cour, il ne voulut point recevoir de lui les hommages dus au souverain pontife. Il lui interdit les génuflexions, lui offrit plusieurs fois sa tabatière, et voulut même le forcer à s’asseoir en sa présence. Bernis se retirait d’un air profondément respectueux ; Clément insista avec familiarité. « Nous sommes seuls, disait-il, personne ne nous voit, laissons là l’étiquette, et vivons dans la vieille égalité du cardinalat. » Quelques jours plus tard, lorsque Bernis lui présenta une lettre de Louis XV, Clément la saisit, la baisa avec transport, et s’écria : « Je dois tout à la France ! La Providence m’a choisi parmi le peuple, comme saint Pierre ; elle s’est servie de la maison de Bourbon pour m’élever sur la chaire du prince des apôtres. Elle a permis, ajouta-t-il en embrassant Bernis, elle a permis que vous fussiez le ministre du roi auprès du saint-siége ; toutes ces circonstances inespérées semblent m’assurer la protection du ciel, qui m’a ménagé celle de si grands princes. J’aurai en vous, mon cher cardinal, une confiance sans bornes. Point de voies indirectes, point de mystères entre nous. Je vous communiquerai tout, je ne ferai rien sans vous consulter. Ne craignez pas que je suive l’exemple de quelques-uns de mes prédécesseurs, que j’emploie d’autres moyens que ceux de la bonne foi et de la vérité. Vous en serez constamment juge, car je ne vous renverrai jamais à mon secrétaire d’état, et je vous prie d’avance de vous adresser toujours directement à moi-même. »

Ces assurances exaltaient Bernis ; il se croyait maître de Rome. Le pape entretenait soigneusement une telle illusion, et se servait de la vanité du cardinal pour le rendre complice de son système dilatoire. Aussi Bernis ne cessait-il d’écrire à sa cour pour la prier d’approuver des délais nécessaires à la dignité du pape et inévitables, selon lui, en des matières qui touchent à la discipline ecclésiastique[1]. Charles III

  1. Bernis à Choiseul, dans un très grand nombre de dépêches.