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docteur Thackrah a calculé que, les jours de marché, chaque cabaret était fréquenté par près de deux mille personnes en quatre heures de temps. M. Symons a visité lui-même ces lieux de débauche à l’heure où les ouvriers s’y rendent après les travaux de la journée, et il a trouvé dans chaque boutique de bière ou de genièvre une trentaine de personnes rangées sur des bancs le long des murs. Partout les ouvriers s’y rencontraient, sans paraître choqués de cette société, avec les voleurs et avec les prostituées. Un langage obscène et des attitudes lubriques formaient, avec la boisson, le principal délassement des habitués. À l’appui de ces observations, il est à propos de rappeler que les prédications du père Matthew ont obtenu à Leeds moins de succès qu’à York et à Bradford. J’ai vu le cortège de l’apôtre irlandais défiler dans Briggate ; il ne se composait pas de plus de 1,200 à 1,500 adeptes, irlandais pour la plupart.

Les crimes et les délits sont proportionnellement moins communs à Leeds qu’à Manchester : en 1841, l’on n’a compté qu’une arrestation sur 50 habitans ; mais à Leeds comme à Manchester, c’est surtout parmi les enfans que la dépravation fait des progrès. La police amène fréquemment devant les magistrats des enfans de sept, huit ou neuf ans, et, pour emprunter les termes d’un rapport municipal, « les premières années de la vie fournissent le plus grand nombre de criminels. » Bien que les ouvriers de Leeds dépendent généralement beaucoup moins que ceux des districts cotonniers du salaire de leurs enfans, le fait du secours que ceux-ci apportent à la famille tend à les affranchir de la tutelle paternelle et à leur faire perdre tout sentiment de respect ainsi que de subordination. Il n’est nulle part plus vrai qu’en Angleterre que le pouvoir appartient à celui qui tient les cordons de la bourse. Aussi les parens n’ont-ils aucune autorité. Les enfans employés dans les fabriques affectent la même indépendance que les fils de famille ; comme eux, ils boivent, fument, jouent, ont des maîtresses, et, ne pouvant pas s’élever jusqu’à la manie aristocratique