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arts, de l’industrie, ni des progrès accomplis dans les pays étrangers. L’activité, l’économie et la prudence, doivent former les traits distinctifs de son caractère ; on n’attend de lui ni l’esprit d’invention, ni le goût, ni l’audace qui entreprend. Cependant la plupart des innovations, quand le succès est établi, deviennent d’un usage général parmi les manufacturiers, et le fabricant domestique finit par trouver son profit au voisinage de ces manufactures qui avaient d’abord excité sa jalousie. En fait, les propriétaires des manufactures achètent souvent à la halle, par fortes parties, les draps communs fabriqués dans les campagnes, et ne s’attachent dans leurs établissemens qu’aux articles de mode et de fantaisie. Ainsi les deux systèmes, au lieu de se faire concurrence, s’entr’aident, chacun suppléant l’autre et contribuant à sa prospérité. »

Ce jugement, porté en 1806, est encore vrai aujourd’hui. Mac’culloch fait remarquer que le nombre des petits fabricans, ainsi que la quantité de leurs produits, ont continué de s’accroître ; mais, comme l’accroissement des manufactures a été encore plus rapide, il se trouve que le système domestique est, à tout prendre, relativement moins général qu’il ne l’était il y a quarante ans. La fabrique de Dison, en Belgique, présente quelques analogies avec cet état de choses. Là aussi les fabricans ont recours à des établissemens publics pour la teinture, pour la filature et pour le foulage, et ils n’ont que le tissage à surveiller. Ils ne sont guère plus grands capitalistes que les maîtres drapiers du Yorkshire, et l’argent leur manque à ce point qu’ils paient les matières premières et les ouvriers sur le prix de leurs ventes ; mais ils ne mettent pas eux-mêmes la main à l’œuvre, et ils n’en sont plus à ce travail domestique qui se partage entre la navette et la charrue. C’est en Angleterre qu’il faut aller pour voir, tant que l’humble édifice subsiste encore, cette exception toute démocratique aux progrès absorbans de la grande industrie[1], et il n’y a pas de temps à perdre, car aujourd’hui la république des drapiers n’existe plus que dans les environs de Leeds et de Huddersfield, ainsi que dans le nord du pays de Galles ; avec le temps, le tissage mécanique, dont l’usage commence à se généraliser dans les fabriques de Leeds et règne exclusivement dans celles de Bradford, fera disparaître, par sa concurrence meurtrière, ces derniers vestiges de l’ancienne société[2].

  1. Hand-loom weavers inquiry. — Report of M. Miles on the west of England.
  2. Le tissage mécanique est installé dans la plupart des grands établissemens. Une seule fabrique, près de Leeds, compte 200 métiers marchant à la vapeur. Quelques manufacturiers unissent le tissage mécanique au tissage à la main. Dans les