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LA VILLE DE LEEDS.

lui. Cette population se trouve répartie entre vingt-cinq villages qui dépendent de Bradford et qui comptent ensemble près de quatorze mille métiers. Souvent aussi les ouvriers sont réunis dans des fabriques où le tissage se fait à la vapeur ; le fabricant devient alors un spéculateur que la nécessité de rendre productif le capital représenté par les bâtimens et par les machines contraint de soutenir le travail pendant toute l’année.

Mais à Leeds et dans les trente-trois villages qui en sont les annexes, la fabrication du drap (woollen trade) procède tout autrement. En regard de la manufacture urbaine, qui concentre les diverses opérations et où la laine est teinte, filée, tissée, foulée et apprêtée sous le même toit, se place la manufacture rurale, qui est divisée entre des milliers de familles et qui combine le travail domestique avec les avantages du travail par association. Dans ce dernier système, la fabrication du drap est quelque chose d’analogue à celle de la rouennerie normande. Le fabricant, au moyen d’un petit capital, achète la laine pour la mettre en œuvre et pour la revendre ensuite sous forme de tissu. Communément il mène de front, avec cette industrie, l’exploitation d’une ferme de quelques acres, et passe alternativement du tissage à la culture des champs. Toute chaumière est un atelier qui contient un, deux, trois et rarement quatre métiers à tisser. Au temps de la moisson ou de la fenaison, si l’ouvrage manque à la fois dans la ferme et au métier, la famille entière, femmes, enfans et domestiques ou apprentis, est envoyée en quête de travail ; elle a donc pour vivre trois cordes à son arc, et descend, quand il le faut, sans se plaindre, à la condition du simple journalier.

Autrefois la chaumière du fabricant était une véritable manufacture dans laquelle la laine passait par tous les degrés de la fabrication, jusqu’à produire du drap qui n’avait plus besoin que de recevoir le lustre de l’apprêt. La concurrence des grands manufacturiers a obligé les petits à se départir de la simplicité primitive de leurs procédés : ils ont appris à s’associer et à mettre leurs forces en commun. Depuis le commencement du siècle, ils ont fondé dans chaque village des établissemens publics de filature, de teinture, de foulage et de dégraissage, dont tout fabricant est actionnaire, qui sont administrés avec une sévère économie, et qui, dégageant le travail en famille de ces opérations préparatoires, le réduisent au tissage du drap.

À mesure qu’il a terminé une pièce, le maître tisserand ou drapier (clothier) va la vendre lui-même au marché. Leeds a deux belles halles aux draps, l’une pour les tissus blancs ou écrus, l’autre pour les