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résistances de la cour de Rome ; il exaltait la puissance des souverains. « Leurs bras sont bien longs, disait-il souvent, ils passent par-dessus les Alpes et les Pyrénées. » Ganganelli ne tarda pas à abandonner les jésuites et à se ranger sourdement du parti des couronnes. Dans les congrégations, il émit (avec précaution pourtant) des opinions favorables aux princes. Le duc de Parme trouva en lui un appui discret, mais sûr. Une correspondance étendue et mystérieuse suppléait à la timidité de ses démarches politiques. Ganganelli écrivait secrètement au père Castan, religieux de son ordre, retiré à Avignon, et livré à l’intrigue. Ce moine l’avait recommandé à Jarente, évêque d’Orléans, qui tenait alors en France la feuille des bénéfices. Cependant, au moment du conclave, les instructions de Versailles n’appuyèrent pas Ganganelli. Les historiens, qui l’affirment tous, sont tous dans l’erreur. A la vérité, ce cardinal fut inscrit sur la liste des bons sujets, c’est-à-dire des sujets qui ne seraient pas désagréables aux Bourbons ; mais son nom, mêlé à beaucoup d’autres, est accompagné de notes restrictives. La France, loin de le préférer au reste des candidats, le soupçonnait de manège et de duplicité. L’attitude de Ganganelli dans le conclave n’était pas propre à dissiper ces préventions. Familier jusqu’alors avec les Français, il avait paru attaché à leurs intérêts ; pendant toute la durée du conclave, il affecta de les fuir. En outre, Ganganelli était peu aimé des cardinaux. Toujours renfermé dans sa cellule, il évitait ses collègues. On put aisément attribuer tant de réserve à une ambition latente. Aussi personne, dans les premiers jours du conclave, ne pensa qu’il pût être élevé au trône. On ne sait si Bernis le pressentit sur le pacte mystérieux proposé par l’Espagne. Étant lui-même contraire à cette mesure, le cardinal français ne pouvait pas la présenter sous un point de vue séduisant ; peut-être même laissa-t-il percer sa répugnance, ce qui força l’Italien à la rejeter avec indignation. Quoi qu’il en soit, Bernis et Luynes persistèrent dans leurs scrupules, et les firent partager à Louis XV, qui accordait toujours au dogme le respect qu’il refusait à la morale.

Le temps s’écoulait, et la négociation n’avançait pas. Les Espagnols pouvaient seuls l’entreprendre et la terminer : ils arrivèrent enfin ; ils laissèrent à Bernis tous les dehors de l’influence, ils flattèrent son amour-propre par des marques de déférence, mais ils résolurent d’agir à son insu. Guidés par d’habiles conclavistes, ils devinèrent sur-le-champ l’ostentation et la mollesse du caractère de leur collègue ; ils surprirent aussi dans son cœur une secrète pitié pour les jésuites ; ils virent que ce sentiment n’avait pas échappé aux regards perçans des