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MOUVEMENT INTELLECTUEL DE LA SUISSE.

stetten se montrent les premiers dans cette lutte, qui devait finir par s’étendre à l’Europe entière ; les premiers, ils y remportent un succès décisif ; les premiers, ils font une large blessure à ces Habsbourg qui si long-temps épouvantèrent l’Europe.

Durant tout le XIIIe siècle, ces montagnards paraissent avoir été en proie à des luttes obscures, mais fortes, à de sanglantes querelles, mais aussi à de fécondes agitations. En différend perpétuel avec les couvens du voisinage, ils leur disputent la possession d’alpages contestés où, les armes à la main, ils conduisent et font avancer leurs troupeaux. On les voit, protégés des Hohenstauffen et zélés gibelins, suivre ces empereurs en Italie, commencer déjà leur réputation guerrière, et même, en vrais montagnards ayant comme aujourd’hui la foi du passé plutôt que celle du présent, ils passent alors pour des hérétiques, qui se soucient peu de la papauté et des moines, qui suivent l’antiquité et leurs propres idées en matière de foi, qui rejettent les images, les reliques, et qui apprennent la Bible par cœur[1]. Les familles privilégiées de paysans libres, de paysans d’empire, sont livrées au dedans à l’esprit de faction et poussent parfois leurs rivalités jusqu’à la vendetta la plus implacable ; mais elles n’en sont pas moins très attentives au dehors à maintenir leurs droits, à les rappeler, à les étendre, à perpétuer et développer la tradition d’une liberté originelle, et, pour assurer leur position menacée, à y intéresser, à y entraîner au besoin toute la population. La conviction d’avoir en quelque sorte conquis le pays par leur travail, jointe à la mâle influence de la nature des Alpes, à la lutte constante que l’homme doit soutenir contre elle, à l’âpreté enfin du caractère montagnard, tout cela agissait sur la masse des habitans, au milieu de laquelle les colons libres étaient seulement comme un noyau plus fort, comme un germe plus mûr ; tout cela développait chez les uns et chez les autres le sentiment de l’indépendance, et finit par leur faire considérer le pays comme un bien sur lequel ils avaient les premiers droits. Ainsi pensaient, ainsi agirent ces libres paysans, ces remuans patriotes, comme les appelle M. de Gingins. Le but de tous leurs remuemens, de tous leurs efforts, fut de revenir à la suzeraineté immédiate de l’empire, et pour cela de repousser, d’amoindrir toutes les juridictions intermédiaires : celle des couvens autrefois protecteurs, celle des maisons seigneuriales qui avaient des fiefs dans le pays, et surtout celle des Habsbourg, qui se glissaient jusqu’à Uri.

On a beaucoup étudié, M. Hisely entre autres[2], tous ces commencemens obscurs de l’insurrection. Déjà en 1248, les Waldstetten formèrent une association contre les Habsbourg, du parti guelfe. Le grand ennemi de l’empereur Frédéric II, le pape Innocent IV, excommunia les montagnards pour

  1. « Biblia ediscunt memoriter… ritus ecclesiæ aversantur quos credunt esse novos, » etc. (Fasti Corbejenses.) Voir Muller, I, 417-418.
  2. Dans deux mémoires sur les libertés des Waldstetten, publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande, t. II.