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plus elle doit piquer la curiosité, l’irrévérence ou la sagacité de la critique. C’est ce qui lui arrive déjà en Suisse, en Allemagne et dans le Nord. En même temps qu’elle a de quoi tenter l’érudition la plus consommée, elle fournit des applications plus prochaines, des solutions moins impossibles à de hautes questions de philosophie historique. La Suisse, en outre, a joué en Europe un certain rôle, et même un rôle important, avec les papes du XVe siècle, avec Jules II et son ministre, ce cardinal de Sion, évêque du Valais, dont François Ier « redoutait encore plus la langue, disait-il, que les hallebardes de ses compatriotes. » Nées à la même époque que le tiers-état et la royauté moderne (1302 et 1308), ces républiques militaires font alliance avec celle-ci dans les premières guerres d’équilibre contre Charles-le-Téméraire et en Italie, l’aident à se dégager au dehors, à se créer une armée, un champ plus vaste, à mettre fin à l’œuvre féodale et à commencer celle du système européen. Lorsque succombe au 10 août cette royauté devenue trop puissante, elle trouve encore les Suisses auprès d’elle, et sa chute achève de donner le coup de mort à leur fédération abâtardie. La réforme et les révolutions politiques ont aussi leur histoire dans ce singulier pays : toutes l’ont agité, bouleversé ; toutes y ont laissé des traces profondes, et pourtant elles n’ont pu le faire semblable aux autres, quoique par ses races, ses langues, ses croyances, ses institutions et ses mœurs, la Suisse soit comme un abrégé de l’Europe actuelle et comme un musée de celle qui a précédé.

Outre la nature, qu’on y cherche surtout, il y a donc en Suisse une mine pour la curiosité et pour la science. Cette mine est moins exploitée qu’on ne se le figure. La Suisse est, au moral comme au physique, très détaillée, très ramifiée ; si elle est resserrée au dehors en d’étroites limites, elle s’étend, pour ainsi dire, en dedans par toutes sortes de détours et de plis, et cependant, savans ou touristes, chacun s’arrange pour la voir en courant.

L’Allemagne, qui, au fond, l’aime peu et qui ne l’a jamais aimée, ayant contre elle une sorte de dépit traditionnel, est de toutes les nations celle qui s’en inquiète le plus. Parmi ces multitudes de pèlerins qui, chaque été, viennent visiter les montagnes et les auberges de la Suisse, les Allemands forment de beaucoup les bandes les plus nombreuses et les plus bigarrées. L’Oberland est pour eux comme une terre promise de l’idylle, et, faut-il le dire ? du bien-vivre et de la gastronomie. Mais l’Allemagne ne connaît pas seulement la Suisse par ses innombrables voyageurs : ses naturalistes, ses philologues, ses historiens, ses juristes, l’étudient sérieusement, fouillent les montagnes, les bibliothèques, les vieilles constitutions et les vieilles chartes, enfin jusqu’à ces mille recoins des mœurs et des idiomes populaires où le passé se réfugie comme dans les fentes de la route et dans des creux si étroits, que le présent roule long-temps sur lui sans le toucher. Il ne se passe point d’années sans que plusieurs savans allemands visitent la Suisse dans quelque but d’exploration scientifique. Les dialectes et les institutions leur fournissent aussi de quoi recueillir et comparer. On a dit, non sans quelque fonds plaisant de vérité, qu’un paysan thurgovien pourrait en re-