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SUPPRESSION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS.

les humiliations. Le conclave durait depuis près de trois mois. Ces vieillards, enfermés dans des tanières, ne pouvaient supporter une réclusion si longue et jusqu’alors si infructueuse ; ils se rappelaient avec effroi que Lambertini n’avait été élu qu’après six mois révolus. Quelques-uns d’entre eux touchaient à la décrépitude, car, dans ce combat décisif, ni l’âge ni les infirmités n’avaient refroidi l’ardeur des partis. On vit transporter au conclave le fanatique évêque de Viterbe, Oddi, âgé de quatre-vingt-dix ans, et Conti, ennemi des jésuites, déjà frappé d’une maladie mortelle. L’impatience gagnait les cardinaux. Tous les matins, ils se rendaient au scrutin avec la ferme résolution de le clore ; mais Lacerda et Solis, plénipotentiaires de l’Espagne, avaient retardé leur marche. Pour abréger leur voyage, ils avaient d’abord annoncé qu’ils le feraient par mer. À cette nouvelle, la joie s’était répandue au Vatican ; elle fit place à un dépit non moins violent lorsqu’on apprit qu’au port de Carthagène, Solis et Lacerda, puérilement effrayés du bruit de la mer, étaient retournés sur leurs pas et se rendaient à Rome par la voie de terre. La chaleur commençait à se faire sentir. Les maladies menaçaient de s’introduire’dans les cellules. On n’avait pas même la ressource des intrigues politiques pour tromper l’ennui des heures. Les cours bourbonniennes avaient insinué plus de trente arrêts d’exclusion ; le cercle des choix possibles se resserrait chaque jour. Ces exclusions si nombreuses étaient illégales, chacune des puissances ne pouvait en indiquer qu’une seule et perdait son droit en l’exerçant, mais les cardinaux (tel était alors l’état de la cour de Rome) se croyaient obligés de les respecter en masse. Les délais des Espagnols paralysaient tout ; leurs collègues les attendaient au milieu d’inconvéniens de tout genre et dans l’irritation provoquée par un affront d’autant plus sanglant qu’il n’était pas possible de le dissimuler.

La France, dans cet intervalle, aurait pu dicter des lois au conclave et satisfaire le roi d’Espagne sans le concours de ses agens. D’Aubeterre le conseillait, mais Bernis, esprit plus fastueux qu’énergique, se contentait d’hommages extérieurs qu’il préférait à la réalité du pouvoir. D’ailleurs, il ne faut jamais perdre de vue que cette affaire semblait secondaire au duc de Choiseul, et que, par une complaisance aveugle pour les fantaisies théologiques du roi d’Espagne, il achetait

    pour ne pas la mépriser, et apprécia très légèrement son admission au conclave. Ces gens-là, dit-il en parlant des cardinaux, m’ont fait valoir cette distinction, mais je n’en suis pas la dupe. Ils ont voulu m’examiner curieusement, comme ils auraient fait du rhinocéros.