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mère de Mme de Grignan, à coup sûr, mais la jeune fille amie de Mme de Rambouillet, mais la jeune femme assidue aux causeries du salon bleu.

Ainsi jetée dans l’imitation de la scène athénienne, la comédie devait bientôt devenir un pastiche. De là vint que ces scènes, qui enthousiasmaient les patriciens, ennuyèrent le peuple. A deux reprises, on essaya de jouer l’Hécuré de Térence ; mais la première fois le public déserta au beau milieu pour un acrobate, et la seconde pour une paire de gladiateurs. En vain Afranius et Atta essayèrent-ils de remettre en honneur la comédie purement romaine, la comédie en toge, la fabula togata. Peines perdues ! Le peuple avait goûté à d’autres joies ; il lui fallait les boucheries des bestiaires, les merveilles des naumachies, les poses lubriques des pantomimes. Dès-lors la comédie est perdue ; il ne tous reste plus qu’à suivre sur la scène ce vieux chevalier qu’un caprice de tyran déshonore, ce Laberius qu’on force à revêtir des habits d’histrion, et qui dans le rôle qu’il débite se venge en s’écriant que la liberté est perdue, libertatem amisimus ; il ne tous reste plus qu’à demander aux dernières atellanes leurs dernières et courageuses allusions, comment elles flagellaient les mœurs immondes de Tibère et le parricide de Néron. Voilà comment à Rome l’esprit critique ne mourut pas. Au reste, quand la comédie eut entièrement disparu, la satire la remplaça. Déjà, après quelques essais obscurs, I.ucile l’avait inaugurée avec éclat : l’âpre saumure de son style, pour parler avec le poète, ne passa pas à Horace son successeur. Mais, par contre, quelle grace enchanteresse ! quelle spirituelle causerie ! Ici, nous touchons à des noms connus, à des noms qui se désignent eux-mêmes et marquent leur place dès qu’on les prononce. C’est la sombre mélancolie de Perse, ce contemplateur bel-esprit qu’on a si souvent mal jugé ; c’est Martial qui enjolive des pointes en petits vers sur les petits ridicules et sur les monstrueuses infamies de la société romaine ; c’est Juvénal enfin qui déclamé, mais qui, dans ses vers puissans et sonores, offre un dernier asile à la vertu au milieu de la servilité de l’empire. Il faut marcher vite dans ces âges de la décadence où l’on se trouve entraîné à travers le néant de l’intelligence, ainsi que Mazeppa dans le vide du désert. L’esprit est comme desséché, les lettres se taisent. A certains momens, toutefois, l’ironie reparaît. Voici, sous Dioclétien, qu’on donne deux atellanes dont l’une s’appelle le Testament de Jupiter et son Enterrement, dont l’autre se nomme Diane flagellée. Ne vous y trompez pas, le jour où de pareilles pièces purent être jouées à Rome, le paganisme abdiqua, et le génie critique dut passer décidément dans d’autres mains, dans des mains bien autrement sérieuses et dignes. L’empereur Julien eut beau tenter de ressaisir le sceptre badin de Lucien dans sa curieuse et singulière satire des Césars, il n’était plus temps ; Tertullien avait le droit de dire aux païens : « Sont-ce vos dieux, sont-ce vos histrions qui font rire ? » Dès-lors la critique de la société n’appartenait plus aux poètes qui châtiaient les ridicules, mais à la chaire évangélique qui flétrissait les vices.