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leur fête de l’âne ; nos rois avaient leur fou, et la mort elle-même, déguisée en danseuse, avait sa ronde macabre. De même à Rome, dans certaines cérémonies religieuses, des plaisans habillés en Silènes contrefaisaient les prêtres qui marchaient devant eux ; de même, aux pompes mortuaires, figuraient des bouffons qui singeaient la contenance et la physionomie du défunt. C’est le même penchant qui reparaît sur tous les points, qui se trahit sous toutes les formes.

Quand par la chronologie on arrive enfin à l’auteur de l’Amphitryon, chaque nom, chaque œuvre semble une démonstration de la thèse que je viens de soutenir. Le théâtre de Plaute, c’est Rome elle-même, c’est, Cicéron l’assure, la fidèle image de la vie d’alors[1]. En France, on a été long-temps injuste pour Plaute ; bien des gens, pour emprunter un joli mot de la préface des Plaideurs y avaient « peur de n’avoir pas ri dans les règles. » Seule de son époque, l’ingénieuse Mme Dacier osa écrire la vérité sur le grand poète qu’elle s’essayait à traduire et chez qui, dit-elle, se rencontrent « beaucoup de belles qualités, qui peuvent non-seulement régaler à Térence, mais peut-être même le mettre au-dessus de lui. » Au XVIIe siècle, les ornemens enjoués de son style acquirent tous les suffrages à l’auteur de l’Andrienne ; on le comprend, ces images adoucies du vice, cette mélancolie facile, cette corruption recouverte d’élégance, devaient plaire à la société polie de Louis XIV, beaucoup plus que les tableaux énergiques de l’Asinaire et du Brutal, beaucoup plus que cette alliance audacieuse de la philosophie et de la licence qui osait faire du cynisme une leçon vivante de morale. Grace à une spirituelle et récente traduction, grace aux efforts d’une critique ingénieuse, Plaute aujourd’hui est à sa place, et la crainte de n’avoir pas ri dans les règles n’effraie, à l’heure qu’il est, aucun de ceux qui le lisent, je veux dire aucun de ceux qui l’admirent. Gardons pourtant nos sympathies aux vers si doux de Térence, à ces peintures délicates des sentimens, à cette finesse de la diction ; mais souvenons-nous du jugement piquant de César qui, après l’avoir lu, l’appelait dans des vers spirituels un demi-Ménandre, dimidiate Menander. Quoique l’auteur de l’Eunuque poussât jusqu’à l’idolâtrie le goût de la Grèce, il n’en est pas moins, par cela même peut-être, un fidèle témoin du monde policé d’alors, un témoin qu’il faut entendre. Cette société agréable et bienséante des Lélius et des Scipions, cette passion un peu coquette des lettres, ces graces du langage, dans leur fadeur même, montrent que le grand règne d’Auguste eut, comme le grand règne de Louis XIV, sa littérature de Louis XIII, et fut également précédé d’une sorte de raffinement anticipé, d’une sorte d’élégance séduisante, mais légèrement maniérée et factice. Le théâtre de Térence me semble présenter cette nuance dans sa fleur et telle à peu près que l’aurait retracée Mme de Sévigné, non pas la

  1. Imaginem nostræ vitæ quotidianæ, dit Cicéron dans son plaidoyer pour Sextus Roscius. Si le mot est vrai de Cécilius, à plus forte raison l’est-il de Plaute.