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COLLÉGE DE FRANCE.

LA SATIRE ET LA COMÉDIE À ROME.

Est-ce un paradoxe de dire qu’on sait à peine la moitié de l’histoire quand on n’a lu que les historiens ? Je ne voudrais pas compromettre la dignité d’un genre essentiellement grave ; mais les écrivains comiques et satiriques ne sont-ils pas, pour qui se défie des récits de convention, un renseignement complémentaire, le supplément naturel des annalistes ? Évidemment les faits n’ont de sens qu’expliqués par les mœurs ; or, peindre les mœurs, c’est là précisément le but de la comédie et de la satire. On devine avec quelle sobre défiance, avec quelle extrême réserve des œuvres où la fantaisie et la passion ont tant de part doivent être mises au service de l’historien. Les pamphlets, bien entendu, ne seront jamais des documens authentiques ; mais si le temps ne sanctionne pas les calomnies, il a droit de recueillir les médisances. Qui nierait, en effet, qu’une certaine impression plus vraie, plus complète, plus libre, reste après de pareilles lectures ? Par le déshabillé même, par le contraste de ces études, la solennité souvent fausse des papiers purement officiels se trouve à propos corrigée. Pour moi, il y a telle page des Actes des Apôtres qui me fait entrer plus avant dans les sentimens intimes, dans ce que j’appellerai la familiarité de la révolution française, que les colonnes ostensibles du Moniteur ; je deviens de la sorte un contemporain. Autrement qu’arrive-t-il ? C’est que souvent le procès-verbal me donne la substance sèche d’un discours et rend inexact, par le scrupule même de l’exactitude, ce que le ton, ce qu’un regard, ce qu’un geste avaient modifié et expliqué ; en tout, la lettre tue l’esprit. Aussi l’artiste avait un sens profond qui, dans les jardins d’une villa italienne, plaçait de doubles statues, représentant d’un côté une figure belle et avenante, de l’autre un masque grimaçant et burlesque. C’est là l’image vraie de la vie ; or, à le bien prendre, le sentiment de la vie à travers les âges est le vrai don de l’historien. Depuis Hérodote, l’histoire est une muse, et cette muse vous paraîtrait morte si vous ne voyiez jamais éclater sur ses lèvres immobiles la gaieté que provoque un ridicule, le dédain que fait naître une prétention, la colère que soulève un vice honteux. Encore une fois, la comédie est, à certains momens, une pièce justificative de l’histoire. Je ne veux pas