Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/550

Cette page a été validée par deux contributeurs.
544
REVUE DES DEUX MONDES.

de ses devoirs. Cependant il ouvrit aussi des écoles. Ainsi il y a en ce moment en Belgique, qui ne compte que 4 millions d’ames, trois systèmes d’enseignement. Le premier appartient à l’église catholique, le second au parti libéral, le troisième à l’état. Se figure-t-on la perplexité des pères de famille, de ceux du moins qui n’ont ni le fanatisme catholique, ni le fanatisme libéral, quand il s’agit de faire un choix pour l’éducation de leurs enfans ? L’affaire est capitale. Par la préférence que l’on donne aux établissemens catholiques ou aux établissemens libéraux, on se classe politiquement. En vain on croirait se tirer d’embarras en frappant à la porte des écoles de l’état : c’est un moyen terme qui ne réussit pas, c’est une neutralité suspecte qui vous donne à la fois pour ennemis libéraux et catholiques.

L’église chez nos voisins est donc au comble de ses vœux ? Nullement, et c’est un point qu’il faut bien comprendre. L’église belge a sans doute de grandes ressources à sa disposition ; elle est alimentée, pour la satisfaction de ses besoins, par l’infatigable générosité des fidèles, et elle a le concours d’une corporation célèbre ; on voit qu’elle ne manque ni d’argent ni de jésuites. Toutefois, elle n’est pas satisfaite ; il y a dans cette situation quelque chose de précaire qui l’inquiète et qui presque l’humilie. Pour une puissance devant laquelle tant de têtes se courbent, c’est trop vivre au jour le jour. L’église belge a de plus hautes pensées, et on l’a vue, en 1840, confier à deux de ses représentans dans les chambres le soin de lancer une proposition qui tendait à transformer l’université de Louvain, siége de la puissance catholique, en personne civile qui aurait pu recevoir, posséder en toute propriété, immobiliser toute sorte de biens et d’immeubles. On reconnaît là les caractères de la main-morte. C’eût été un coup de fortune pour le clergé belge, s’il eût pu emporter par surprise une aussi grosse affaire. Cette fois, il fondait son empire immuablement, il devenait une corporation riche, une corporation propriétaire, qui aurait englouti des biens immenses. Qui aurait pu lutter contre elle ? Par le fait, la liberté de l’enseignement était anéantie. C’eût été le règne d’un monopole exclusif basé sur la richesse territoriale et adossé à l’autel. Les libéraux prirent l’alarme, reconnurent le péril et surent parer le coup. L’ambitieuse motion fut retirée : on la reproduira dans des temps meilleurs ; la persévérance fut toujours une des vertus de l’église.

On se demande nécessairement ce que fait l’état dans ce conflit des opinions catholique et libérale. Le gouvernement belge est fort embarrassé ; son impuissance n’est un mystère pour personne, et elle lui donne une attitude sans dignité. Le ministère actuel n’est pas libéral, il ne voudrait pas non plus paraître catholique ; il n’ose rien faire, et il voudrait paraître faire quelque chose. Voici ce qu’il avait imaginé. On sait que, la constitution belge ayant refusé au gouvernement toute influence immédiate sur l’enseignement, il a fallu créer des jurys d’examen qui eussent la mission de conférer des grades académiques. Depuis 1835, en vertu d’une loi provisoire, les deux chambres nommaient, concurremment avec le pouvoir royal, les membres