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ni dans les journaux, ni au roi. Tout est bien changé aujourd’hui : ce ne sont de toutes parts que déclamations ardentes et cris de guerre. Nous sommes en face, non-seulement de modernes ligueurs, mais de fils de croisés. Les têtes se montent, les imaginations s’échauffent, et les hommes graves ont compris qu’il était temps d’intervenir en allant au fond des choses.

Tel est, en effet, le caractère de la discussion qui se continue encore en ce moment au sein de la chambre des pairs, que chacun a dit sa pensée avec une entière franchise, les défenseurs comme les adversaires de l’instruction donnée par l’état. Nous en trouvons la preuve sur-le-champ dans l’attitude prise par le premier orateur qui a entamé le débat, nous voulons parler de M. Cousin. Défendre l’Université, défendre la philosophie sans accepter de solidarité avec l’œuvre et la politique du cabinet, tel est évidemment le but que s’était proposé M. Cousin, et il a su l’atteindre avec une heureuse fermeté. Il a pris la situation telle que l’ont faite depuis trois ans les vivacités étranges du parti ecclésiastique. Tout ce qui a été attaqué avec une insigne violence, tout ce qui n’a pas été suffisamment protégé par le pouvoir qui en avait mission, M. Cousin a voulu le défendre. Il a parlé en universitaire, en philosophe qui se reconnaît responsable des doctrines de son école : c’est en quelque sorte pro domo suâ qu’il a pris la parole. Cette situation avait l’avantage de laisser au célèbre orateur toute son indépendance vis-à-vis de l’administration, et M. Cousin a pu dire à la tribune : « Je me demande ce qu’est devenu l’œil et le bras de l’état, et si le gouvernement est aveugle et sourd. » Nous n’avons pas besoin de louer le talent littéraire qu’a déployé M. Cousin au moment où il accomplissait un devoir politique. Les pages qu’il a consacrées à l’histoire de l’Université, des ordres de saint Dominique et de saint François et de l’institut des jésuites, resteront parmi les meilleures qu’il ait écrites.

Quand nous disons que M. Cousin a pris dans la discussion le rôle d’universitaire décidé, nous n’entendons pas qu’il n’ait point parlé en homme politique. Il a parfaitement montré au contraire qu’en ces graves circonstances défendre l’existence de l’Université, c’était défendre la civilisation politique que nous avaient léguée les principes de la révolution française et la forte organisation de l’empire. Il ne s’agit rien moins que de l’unité morale de la France. Voilà, en effet, le grand côté de la question, voilà par où elle sort de l’enceinte des écoles pour affecter tous les intérêts sociaux. Aussi, pour en comprendre l’importance, il n’est pas nécessaire d’être régent de collége ou même professeur de faculté. M. le comte de Saint-Priest a dit à la chambre des pairs qu’il était bachelier aussi peu que possible, encore moins licencié et pas du tout docteur. Néanmoins il a défendu l’Université, parce qu’en homme politique il a vu toute la portée de la question. Il s’est aussi demandé s’il était dans le véritable intérêt de l’église d’organiser une concurrence, une lutte qui lui créeraient des adversaires nombreux et passionnés. Plusieurs point ont été touchés avec sagacité par M. de Saint-Priest. Il a esquissé