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REVUE. — CHRONIQUE.

dans leur inexorable campagne contre le ministère du 15 avril. L’évacuation d’Ancône défrayait tous les débats, parce que ce mot suffisait alors pour éveiller toutes les susceptibilités du pays. D’autres accusations venaient sans doute se grouper autour de celle-là : on rappelait tour à tour et la Suisse devenue hostile à la France, et la Belgique contrainte de subir une mutilation de territoire ; mais ces griefs s’effaçaient tous devant celui d’Ancône. Lorsque l’honorable M. Guizot articulait ce nom à la tribune, le visage blanc de colère et le poing fermé, il comprenait d’expérience l’impossibilité de garder, au milieu de ces grandes excitations parlementaires, ce calme et cette mesure qu’il paraît considérer aujourd’hui comme des vertus d’une pratique si facile.

On a pu entendre dire au chef du 15 avril qu’en signant l’ordre d’évacuer Ancône, il savait fort bien armer l’opposition d’un grief plus redoutable que tous les autres pour l’existence du cabinet qu’il présidait. Nous avons trop de confiance dans la sagacité de M. le ministre des affaires étrangères pour n’être pas assuré qu’il a envisagé du même point de vue le désaveu de la conduite de notre amiral dans les îles de la Société. Les embarras gratuitement créés à la France, dans ces mers lointaines, par des entreprises irréfléchies aboutissant à une retraite humiliante, resteront, en effet, avec les difficultés inhérentes au droit de visite, comme le principal obstacle au maintien du ministère et à la durée de la politique internationale dont il est la plus éclatante personnification. Qu’il ne s’étonne pas dès-lors si l’opposition s’est emparée avec ardeur d’un thème qui est loin d’être épuisé, même à n’en juger que par les révélations incomplètes portées jusqu’à ce jour à la tribune.

Résumons rapidement, et pour la dernière fois, l’état réel des choses tel qu’il apparaît aujourd’hui à tous les hommes sincères, puis nous essaierons de tirer quelques conséquences des faits reconnus et avoués.

Des motifs de plainte dont l’Angleterre n’a pas méconnu la légitimité déterminèrent, en septembre 1842, le contre-amiral commandant les forces françaises dans l’Océan Pacifique à imposer à la reine Pomaré le traité du protectorat. Quoique M. Addington, dans sa lettre du 11 juillet 1843 à sir John Barrow, insinue que cet acte a été amené par l’intrigue et par l’intimidation, il reconnaît néanmoins d’une manière péremptoire que la résolution de la souveraine dans les îles de la Société a créé en faveur de la France un droit qui ne saurait être méconnu. Le gouvernement britannique n’hésite donc pas à accorder au pavillon spécial du protectorat imposé par l’amiral français à la reine de Taïti les honneurs du salut militaire, et il envoie à son consul, sous la date du 9 septembre 1843, des instructions convenables de tout point, puisqu’elles ont pour but de sauvegarder les droits de ses nationaux et ceux de la liberté religieuse.

Pendant que l’Angleterre se résignait aux faits accomplis, les choses suivaient à Papeïti un cours fort différent. Le gouvernement civil installé par