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relle marquée par les déserts qui séparent le Scinde de l’Hindostan, les nations mahométanes des peuples qui adorent Brahma et Boudha, les races tournées vers la Mecque des races tournées vers le Gange ? Mais le Scinde, situé aux portes de l’Afghanistan, est maître des bouches de l’Indus, c’est-à-dire d’une des grandes voies qui mènent de la Haute-Asie et de l’Asie centrale vers l’Inde anglaise. Abandonnerait-on une des clés les plus importantes de l’empire britannique ? Après être allé livrer dans les montagnes des Afghans une bataille désespérée à l’influence occulte de la Russie, laisserait-on maintenant ouvert ce cours de l’Indus qui, au sortir du Caboul, peut conduire si facilement le premier conquérant venu dans la mer de Bombay ? Après l’évacuation de l’Afghanistan, les anciennes limites ne suffisaient plus à l’Angleterre ; elle ne pouvait se replier en-deçà de l’Indus : l’intérêt de sa sûreté l’obligeait à adosser aux rives du grand fleuve les avant-postes de sa puissance. Lord Ellenborough le vit tout de suite ; il comprit qu’il avait besoin d’annexer le Scinde aux vastes possessions britanniques. Mais le Scinde était un pays gouverné par des souverains indépendans, que l’Angleterre venait de s’attacher par un protectorat récent, et envers lesquels elle s’était liée elle-même par des traités solennels. On va voir avec quelle délicatesse de conscience lord Ellenborough a opté entre la justice et un intérêt démontré de l’Angleterre.

Le Scinde, enclavé entre l’Afghanistan et le Pundjab au nord, le Beloutchistan à l’ouest, la mer et les possessions de la présidence de Bombay au sud, a souvent subi la suzeraineté des conquérans mogols, persans et afghans ; mais, depuis cent ans, il possédait un gouvernement local qui avait survécu à ces empires éphémères. Une chaîne de collines peu élevées sépare la riche vallée de l’Indus des régions pierreuses et stériles qui, sous le nom de Beloutchistan, s’étendent du côté opposé jusque près du golfe Persique ; les tribus pastorales et belliqueuses qui parcourent cette contrée avaient fait depuis plusieurs siècles de nombreuses émigrations dans le Scinde, lorsque, il y a environ cent ans, les clans qu’elles y avaient établis devinrent assez puissans pour asseoir leur suprématie sur tout le pays. Ce fut la tribu des Caloras qui assura la domination des Beloutchis sur les anciens habitans du Scinde, les Juttes ; elle fut elle-même supplantée, il y a cinquante ans, par une autre tribu beloutchi, celle des Talpours, qui régnait au moment de la conquête anglaise. Le gouvernement des Talpours était une sorte d’oligarchie patriarcale et féodale. Les chefs ou émirs se partageaient le pouvoir et les revenus ; ils plaçaient ordinairement à leur tête, sous le nom de reïs, le plus âgé d’entre eux,