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par le moyen des paquebots anglais ; et si de Londres il veut gagner Paris, il y arrive avant que ses compagnons, venus d’Egypte avec lui et voulant se rendre en France par nos paquebots, soient sortis du lazaret de Malte, où ils sont entrés le jour de son départ pour l’Angleterre ! Est-il croyable que l’on puisse arriver plus rapidement d’Alexandrie ou de Constantinople à Paris, en passant par Gibraltar et Londres, qu’en s’y rendant par Marseille ? Il est pourtant constaté que par les paquebots anglais l’on gagne seize jours en venant d’Alexandrie, et vingt-trois en venant de Constantinople[1]. Que ressort-il de cela ? C’est que, si la peste doit se déclarer pendant la période d’incubation que nous jugeons nécessaire, elle peut nous venir d’Autriche ou d’Angleterre, tout aussi bien que d’Egypte ou de Turquie. En ouvrant, sur tant d’autres points, notre territoire au terrible fléau, nous rendons parfaitement illusoire le rempart inexpugnable que nous lui opposons à Marseille. Pour être logique, le gouvernement devrait établir des lazarets sur les frontières de l’Allemagne et sur les côtes de la Manche. En attendant, l’épidémie ne se montre ni en Autriche ni en Angleterre, et, dans ces deux pays, on rit à bon droit de nos terreurs chimériques. Notre commerce a perdu les marchés du Levant. Les voyageurs reviennent presque tous d’Orient par les bâtimens étrangers, nos paquebots naviguent à vide, et le déficit de ce service ruineux a été, l’an passé, de 2,200,000 francs ! En présence de pareils chiffres et de pareils résultats, on comprend difficilement l’optimisme ou l’insouciance de certains hommes qui nient ou acceptent comme une fatalité l’immobilité du gouvernement.

Les maisons de commerce établies par les Anglais à Smyrne sont loin d’être aussi considérables que celles que possédaient autrefois dans cette ville les négocians français. En Orient, les affaires ne sont plus faites sur une grande échelle par quelques hommes privilégiés, et le commerce s’est extrêmement fractionné depuis que l’impulsion donnée dans ces dernières années aux populations chrétiennes de l’empire ottoman a permis à la race si nombreuse des Grecs et des Arméniens de mettre à profit leur génie mercantile. Autrefois si avilis, qu’à peine il leur était permis de faire en secret de petits trafics sans importance, les rayas ont acquis maintenant une puissance que les Turcs sentent et subissent sans se l’avouer. Cette puissance grandit

  1. La question si importante des quarantaines ne peut être resserrée dans de si étroites limites ; nous en ferons le sujet d’un prochain travail.