Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/503

Cette page a été validée par deux contributeurs.
497
LA TURQUIE. — SMYRNE.

tration régulièrement organisée qui surveillât l’exécution des actes. Il fallait s’en rapporter entièrement à des agens éloignés sur lesquels aucune surveillance ne pouvait être exercée. Pour les stimuler, on crut devoir les intéresser dans les réformes. En créant des monopoles, le gouvernement avait fait une faute ; il commit un crime en concédant aux gouverneurs des différentes provinces le droit d’établir d’autres monopoles pour leur propre compte. Trop inactifs pour agir par eux-mêmes, ces pachas cédèrent à leur tour, moyennant tribut, à des agens subalternes, une partie de leurs priviléges ; ils vendirent à prix d’or, à certains spéculateurs, la faculté d’acheter exclusivement tels ou tels produits. Des vexations inouies furent le résultat principal de ces mesures qui ruinèrent les populations, dépeuplèrent les campagnes, et enrichirent les pachas sans grossir le trésor. On devine si dès-lors les places de gouverneur furent recherchées ; le gouvernement spécula sur l’avidité des postulans ; il mit à l’encan les charges de pachas, de mutecellins, de vayvodes de provinces ; il les offrit au plus fort enchérisseur. Celui qui voulait se mettre sur les rangs s’adressait à un juif et lui demandait les fonds nécessaires pour payer au trésor ses dignités. Pour garantie, il offrait les dépouilles de la province qu’il allait mettre au pillage avec d’autant plus d’activité, que, l’année suivante, un autre pouvait offrir davantage et le supplanter. Industrie, commerce, agriculture, tout fut anéanti en Turquie par ce système barbare. L’industrie turque n’avait pu jusqu’alors se soutenir que par le bon marché de ses produits ; en les grevant d’un impôt, on en augmentait la valeur, et on les assimilait aux produits des manufactures européennes. Pour rétablir la balance, il aurait fallu augmenter en même temps les taxes imposées aux marchandises étrangères, mais cette faculté était interdite à la Turquie, qui, enchaînée par d’anciens traités, devait s’en tenir aux chiffres convenus avec les puissances. Dès-lors, comme à prix égal les marchandises turques ne pouvaient soutenir la concurrence avec celles de l’Europe, les étrangers gagnèrent ce que perdaient les nationaux, et l’industrie indigène fut ruinée. Plusieurs circonstances contribuèrent, non pas à amener ce résultat, il était inévitable, mais bien à l’accélérer. Pendant que la Turquie adoptait ces mesures fatales, l’industrie se perfectionnait en Europe, et la production, qui dépassait si prodigieusement la consommation, cherchait partout des débouchés. La Turquie offrait une voie nouvelle, les marchandises européennes firent irruption dans le Levant. En réformant le costume de l’armée et de ses