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LA TURQUIE. — SMYRNE.

tentit plus qu’à de longs intervalles, et bientôt rien ne troubla le calme imposant de la nuit que le tintement de l’heure sur les navires, auquel le matelot en vigie sur l’avant répondait par le cri de veille ordinaire : « Ouvre l’œil au bossoir ! »

Le lendemain, quand je montai sur le pont, il faisait une chaleur de fournaise, et le soleil éclairait la terre avec une telle magnificence, que dans le premier instant je ne pus rien distinguer de la ville, vers laquelle se portèrent aussitôt mes yeux éblouis. Une rangée de navires immobiles, exhalant une forte odeur de goudron, du linge qui séchait sur des cordages, des pavillons qui pendaient tristement le long des mâts, la mer blanche, lourde, huileuse, ce fut d’abord tout ce que j’aperçus. Enfin m’apparut un long quai de bois, étroit, inégal, presque à fleur d’eau, au-dessus duquel s’élevait une ligne de baraques rouges, percées de petites fenêtres dont les vitres étincelaient comme des diamans. De loin en loin, sur des maisons plus belles, plus hautes, ornées de contrevents verts, flottaient les pavillons des consuls ; dans le fond du tableau, un grand amas de toits bruns s’étageaient confusément sur la pente très douce de deux larges collines, dont l’une est dominée par un château-fort, l’autre par un bois de sombres cyprès. Aucun bruit ne s’élevait de cette triste ville ; il n’y avait sur le quai aucune animation, aucun mouvement dans le port ; pas un souffle n’agitait l’air, tout semblait languir par cette journée d’étouffante chaleur. Derrière moi s’arrondissait le golfe magnifique de Smyrne, qui rappellerait, s’il n’était infiniment plus grand, le port autrefois célèbre de Syracuse. La réverbération de cette surface, unie comme un miroir d’acier, était intolérable. Au loin, un caïque arrêté par le calme, étendant en vain sa voile blanche taillée comme l’aile d’un goéland, semblait pris dans cette glace éclatante. Vers le sud s’élèvent des montagnes arides ; du côté du nord, au contraire, la terre est basse, riante, de beaux arbres se dressent sur la rive et mirent dans les flots bleus leur feuillage d’émeraudes. À cette campagne verdoyante, la ville noire, sans caractère, avec son bois de cyprès qui la couronne et la vieille masure qui la domine, oppose un contraste frappant. Le silence effrayant de la ville, le calme profond de la campagne, l’immobilité de la mer, vous inspirent un vague recueillement, et l’on se sent pris d’une grande tristesse en contemplant pour la première fois le panorama de Smyrne.

En comprenant sous la dénomination générale d’Orient la Grèce et la Turquie, on est amené à chercher en imagination des similitudes entre deux pays qui n’ont ensemble aucun rapport, et l’on se fait de