Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/456

Cette page a été validée par deux contributeurs.
450
REVUE DES DEUX MONDES.

que de reconnaître, avec M. Bautain et son école, qu’il y a un certain nombre de vérités d’expérience et de raisonnement qui sont indépendantes de l’autorité de l’église, et qu’on peut savoir que l’aimant attire le fer et que le soleil se lèvera demain sans consulter l’Écriture sainte ; c’est un second pas, c’est un progrès plus grand encore de maintenir, comme M. de Strasbourg, M. de Paris et l’immense majorité de l’épiscopat, que la raison peut s’élever par sa propre vertu jusqu’à la notion du bien et du mal et jusqu’à l’existence de Dieu, double base de la loi et de la religion naturelles. Mais qu’on ne se fasse aucune illusion sur les dispositions et les sentimens du clergé de France, qu’on ne soit pas trompé par la modération calculée du langage, qu’on pèse les paroles et les déclarations, qu’on mesure l’étendue des concessions soigneusement rapprochées des restrictions qui les limitent ou les annulent, et l’on se convaincra que les différences qui séparent ces trois opinions sont plus apparentes que réelles, qu’elles consistent dans les mots plus que dans les choses, dans quelques distinctions logiques et abstraites plus que dans les effets réels et les conséquences pratiques.

Accusé hautement d’incliner au lamennaisianisme, M. l’archevêque de Paris a protesté avec énergie, au nom de l’épiscopat tout entier[1], de son profond éloignement pour les doctrines de l’Essai sur l’indifférence, de son respect pour les droits de la raison, pour la saine philosophie. Examinons, en respectant à notre tour la loyauté des déclarations, les pièces du procès. Laissons les mots et les personnes, allons aux choses et aux doctrines.

M. l’archevêque de Paris s’est expliqué récemment encore sur les droits de la philosophie. Jamais la modération de son langage et l’habileté de sa dialectique, jamais l’art des tempéramens et des correctifs, n’avaient été poussés plus loin. Eh bien ! la pensée qui fait le fonds de la nouvelle Instruction pastorale, et qui éclate même à des yeux médiocrement exercés sous cet appareil d’impartialité et de justice, c’est que la philosophie, utile peut-être dans une sphère inférieure comme épreuve intellectuelle, est radicalement impuissante en tout ce qui touche aux intérêts moraux et religieux de l’humanité. La philosophie réduite à la logique, c’est-à-dire détruite comme philosophie, la philosophie déshéritée du droit de parler aux hommes de Dieu, de la Providence et de leurs devoirs, la philosophie quittant le domaine des choses divines et des vérités éternelles pour descendre

  1. Théodicée chrétienne, p. 8.