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DE LA PHILOSOPHIE DU CLERGÉ.

dont la parole a une grande autorité, à qui l’étendue de ses connaissances administratives, la modération ordinaire de son langage, la fermeté et l’habileté de sa plume, donnent une considération méritée, M. l’archevêque de Paris.

Cette partie imposante du clergé, ennemie, à ce qu’il semble, de tout excès, de toute extrémité, semble sérieusement disposée à reconnaître les droits de la raison. Non-seulement elle lui accorde une certaine autorité, et lui trace un domaine où elle peut se développer avec liberté, mais elle lui reconnaît le droit de s’élever jusqu’à certaines vérités supérieures de l’ordre moral et religieux. La raison naturelle porte jusqu’à Dieu, puisqu’elle en démontre l’existence ; voilà sa grandeur et voilà son droit, mais voilà aussi sa limite éternelle. La philosophie prouve Dieu, mais elle ne le connaît pas. Elle élève l’ame au-dessus du monde des sens et la conduit jusqu’au monde invisible, mais elle n’en touche que la limite. Arrivée au seuil du temple éternel, elle y laisse l’ame entre les mains de la religion qui la conduit par degrés jusqu’au sanctuaire. Toute philosophie qui veut sonder la nature de Dieu est frappée de vertige ; elle se trouble, se confond dans ses propres pensées, et finit par se précipiter dans le panthéisme. Un Dieu séparé du monde, un Dieu qui se suffit à soi-même, un Dieu créateur et providence, tout cela n’est que scandale pour l’humaine raison. Le panthéisme, voilà le terme inévitable où une philosophie qui oublie sa faiblesse aboutit nécessairement.

Cette doctrine, que l’épiscopat a généralement adoptée, que M. l’archevêque de Paris a esquissée avec sa discrétion, sa dextérité et son talent ordinaires, dans ses Instructions pastorales et sa brochure sur la Liberté de l’Enseignement, a été développée et réduite en système par un professeur de théologie, M. l’abbé Maret, soit dans ses cours de la Sorbonne, soit dans deux ouvrages fort accrédités auprès du clergé, l’Essai sur le Panthéisme et la Théodicée chrétienne. Les révérends pères Lacordaire et de Ravignan l’enseignent à Notre-Dame, et l’on peut dire qu’elle est aujourd’hui la doctrine dominante du clergé de France.

Nous sommes loin de nier qu’il n’y ait des différences considérables entre les trois opinions que nous venons d’esquisser tour à tour sur la question si délicate et si décisive des limites de la raison. Assurément il faut féliciter le clergé français de ne pas s’être laissé séduire à cette doctrine excessive, téméraire, extravagante, qui refuse à la raison humaine, à la philosophie, le droit de s’assurer d’aucune vérité, même de l’existence personnelle. C’est un premier pas vers la vérité